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pas le droit de s’interposer entre les désirs d’Albert et mon entraînement vers lui si jamais je venais à l’aimer. Le bonheur d’un homme de la valeur d’Albert imposait tous les sacrifices, mais ajoutait-il, il ne pensait pas que ce bonheur fût encore possible ; il croyait son être en ruine et son génie écroulé comme ces merveilleux monuments de l’antiquité qui ne nous frappent plus que par leurs vestiges.

Ce passage de la lettre de Léonce me causa une profonde tristesse ; à quoi bon exprimer de pareilles idées à une femme aimée ? il est vrai qu’en finissant il ne me parlait plus que de sa tendresse ; il me disait que j’étais sa vie, sa conscience ; le prix adoré de son travail ; il songeait à notre prochaine réunion avec transport. La dernière partie de sa lettre effaça l’impression du début et je ne trouvai plus dans ce qu’il m’avait dit sur Albert qu’un culte exagéré mais généreux pour son génie ; si ce n’était pas tout à fait là le langage d’un amant, c’était celui d’un esprit philosophique et vraiment grand.

Cette lettre de Léonce m’était parvenue dans la soirée du lendemain de la promenade au jardin des Plantes. J’avais craint dans la journée de voir revenir Albert et le soir quand l’heure possible de sa visite fut dépassée, j’éprouvai une sorte d’allégement de ce qu’il n’avait pas paru. Je lus, je fis quelques pages de traduction, J’écrivis de nouveau à Léonce ; je repris l’habitude de mon amour. Ma nuit fut aussi calme que la dernière avait été agitée. À mon réveil Marguerite me remit un