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Page:Colet - Lui, 1880.djvu/93

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que je voulais m’interdire. Vous êtes la lampe insensible et moi le moucheron inquiet qui court s’y brûler.

— Vous êtes, répondis-je, un cœur de poëte qui m’est bien cher et qui m’attire.

— Oui, comme le cœur de René, moins peut-être ? comme celui de Germiny ou de Duverger ; me voilà au nombre de vos amis ; c’est très-consolant pour ma vanité, très-insuffisant pour mes rêves.

— Vous me sembliez tranquille tantôt, presque heureux.

— Oh ! certainement, je n’ai pas bu et j’ai à peine mangé depuis deux jours, je suis très-calme.

Je cherchais en vain une parole à lui répondre, je regardais son pâle et doux visage qui avait en ce moment une navrante expression. Deux larmes s’échappèrent involontairement de mes yeux, il les vit rouler sur mes joues.

— Ah ! je voudrais les boire, me dit-il, merci chère marquise, et pardon ! — Je deviens bête, poursuivit-il, comme une médiocre élégie, et vous allez me prendre en dédain ; c’est bien la peine de vous faire visite si je n’ai pas l’esprit de vous distraire un peu ; allons, il ne sera pas dit qu’Albert de Lincel a donné le spleen à la marquise de Rostan. Laissez-moi vous conter quelques anecdotes qui me reviennent pêle-mêle :

Parmi mes souvenirs d’adolescent, il en est un qui me fait toujours rire. Lorsque je commençai à barbouiller du papier (triste exercice qui nous fait ressasser sans trêve nos joies et nos peines, les flétrir et