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Page:Colette - Claudine s’en va, 1903.djvu/18

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« Est-ce que vraiment je vais avoir autant de chagrin qu’il le dit ? c’est terrible ! »

À présent, c’est la vérité : il est parti ! Je crains de bouger, de respirer, de vivre. Un mari ne devrait pas quitter sa femme, quand c’est ce mari-là, et cette femme-là.

Je n’avais pas encore treize ans, qu’il était déjà le maître de ma vie. Un si beau maître ! un garçon roux, plus blanc qu’un œuf, avec des yeux bleus qui m’éblouissaient. J’attendais ses grandes vacances, chez grand’mère Lajarrisse — toute ma famille — et je comptais les jours. Le matin venait enfin où, en entrant dans ma chambre blanche et grise de petite nonne (à cause des cruels étés de là-bas, on blanchit à la chaux, et les murs restent frais et neufs dans l’ombre des persiennes), en entrant, elle disait : « Les fenêtres de la chambre d’Alain sont ouvertes, la cuisinière les a vues en revenant de ville ». Elle m’annonçait cela tranquillement, sans se douter qu’à ces seuls mots je me recroquevillais, menue, sous mes draps, et que je remon-