tais mes genoux jusqu’à mon menton…
Cet Alain ! je l’aimais, à douze ans, comme à présent, d’un amour confus et épouvanté, sans coquetterie et sans ruse. Chaque année, nous vivions côte à côte, pendant tout près de quatre mois, (parce qu’on l’élevait en Normandie dans une de ces écoles genre anglo-saxon, où les vacances sont longues). Il arrivait, blanc et doré, avec cinq ou six taches de rousseur sous ses yeux bleus et il poussait la porte du jardin comme on plante un drapeau sur une citadelle. Je l’attendais, dans ma petite robe de tous les jours, n’osant pas, de peur qu’il le remarquât, me parer pour lui. Il m’emmenait, nous lisions, nous jouions, il ne me demandait pas mon avis, il se moquait souvent, il décrétait : « Nous allons faire ceci, vous tiendrez le pied de l’échelle ; vous tendrez votre tablier pour que je jette les pommes dedans… » ; il passait son bras autour de mes épaules et regardait autour de lui d’un air méchant, comme pour dire : « Qu’on vienne me la prendre ! » Il avait seize ans, et moi douze.