Page:Colette - La maison de Claudine, 1922.djvu/18

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boucherie ; c’est qu’elle espérait rassembler, en même temps que ses enfants égaillés, ses chattes vagabondes, affamées de viande crue…

Au cri traditionnel s’ajoutait, sur le même ton d’urgence et de supplication, le rappel de l’heure : « Quatre heures ! ils ne sont pas venus goûter ! Où sont les enfants ?… » — « Six heures et demie ! Rentreront-ils dîner ? Où sont les enfants ?… » La jolie voix, et comme je pleurerais de plaisir à l’entendre… Notre seul péché, notre méfait unique était le silence, et une sorte d’évanouissement miraculeux. Pour des desseins innocents, pour une liberté qu’on ne nous refusait pas, nous sautions la grille, quittions les chaussures, empruntant pour le retour une échelle inutile, le mur bas d’un voisin. Le flair subtil de la mère inquiète découvrait sur nous l’ail sauvage d’un ravin lointain ou la menthe des marais masqués d’herbe. La poche mouillée d’un des garçons cachait le caleçon qu’il avait emporté aux étangs fiévreux, et la « petite », fendue au genou, pelée au coude, saignait tranquil