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VICTOR HUGO.


Un grand nom, un homme de génie ; mais qui a trop vécu. Rien qu’à parler de lui, on se surprend à faire des phrases courtes et hachées, pleines de sous-entendus, sans verbe, sans tête et sans queue. C’est sa dernière manière, pour moi je préfère l’autre.

La bouche d’Ombre s’est encore une fois ouverte et les journaux de Paris annoncent la publication d’un grand ouvrage en quatre parties, ayant pour titre : « Les Quatre Vents de l’Esprit. » Nous n’avons pas encore vu l’ouvrage qu’on nous donne comme égal à ce qu’il a fait de mieux, mais le Courrier des États-Unis en détache la « belle et courte pièce que voici : —


Je suis haï. Pourquoi ? Parce que je défends
Les faibles, les vaincus, les petits, les enfants.
Je suis calomnié. Pourquoi ? Parce que j’aime
Les bouches sans venin, les cœurs sans stratagème.
Le bonze aux yeux baissés m’abhorre avec ferveur,
Mais qu’est-ce que cela me fait, à moi rêveur ?
Je sens au fond des deux quelqu’un qui voit mon âme ;
Cela suffit. Le flot ne brise pas la rame.
Le vent ne brise pas l’aile. L’adversité
Ne brise pas l’esprit qui va vers la clarté.
Je vois en moi l’erreur tomber et le jour croître.
Rien de fermé. Le ciel ouvert. L’étoile à nu.
L’idole disparait, Dieu vient. C’est l’inconnu,
Mais le certain. Je sens dans mon âme ravie
La dilatation superbe de la vie
Et la sécurité du fond vrai sous mes pas.
L’abri pour le sommeil, le pain pour le repas,
Je les trouve. D’ailleurs, les heures passent vite.
Quelquefois on me suit, quelquefois on m’évite ;
Je vais. Souvent mes doigts sont las, mon cœur jamais.
Le juste, — hélas ! je saigne, où sont ceux que j’aimais ?
Sent qu’il va droit au but quand au hasard il marche.
Je suis, comme jadis l’antique patriarche
Penché sur une énigme où j’aperçois du jour.
Je crie à l’ombre immense : Amour ! Amour ! Amour !
Je dis : Espère et crois, qui que tu sois qui souffres !
Je sens trembler sous moi l’arche du pont des gouffres ;
Pourtant je passerai, j’en suis sûr. Avançons.
Par moments la forêt penche tous ses frissons
Sur ma tête, et la nuit m’attend dans les bois traîtres ;
Je suis proscrit des rois : je suis maudit des prêtres ;