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LA PRIMA DONA.

Dans une des principales hôtelleries de Vérone on vit un soir un mouvement extraordinaire ; des groupes se formaient dans la salle et jusque dans la cour, on parlait avec chaleur : un étranger eût pu croire qu’il s’agissait d’un grand événement politique ; car pour ce peuple restreint à la passion des arts le début d’un chanteur ou le succès d’un opéra sont d’aussi puissants motifs d’intérêt que chez nous le renvoi d’un ministre ou une déclaration de guerre. Or il ne s’agissait rien moins à Vérone ce soir-là que de la rentrée de la signora Gina, jadis les délices de la ville, mais éloignée du théâtre durant plusieurs années ; son nom partait de toutes les bouches accompagné des épithètes de diva, de benedetta. Un grand silence succéda aux transports. Tous les yeux se tournèrent vers un jeune homme qui venait d’entrer sans rien dire à personne, et qui s’était jeté sur une chaise demi brisée.

Il était beau, mais étrange. Près de lui, sur une table, il avait posé son manteau roulé autour d’une épée, et sa main droite était cachée dans son sein. « Valterna ! » lui cria quelqu’un en lui frappant sur l’épaule. Il ne bougea pas, seulement ses grands yeux noirs se tournèrent lentement vers le cadran de la pendule. « Il n’est pas temps encore », dit-il. Et son regard, un instant animé, se voila de nouveau des longs cils de sa paupière. « Quel est cet homme ? demanda un Français arrivé depuis une heure à Vérone. — C’est Valterna, lui répondit-on. — Un officier ? dit le Français en regardant l’épée et les