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dressa devant elle une belle boutique remplie de magnifiques étoffes et de robes des plus riches couleurs. En faisant sa promenade habituelle, la demoiselle du château fut bien étonnée de voir la fille de basse-cour tenir une aussi belle boutique ; elle regarda les magnifiques vêtements et résolut d’en acheter quelques-uns. Elle s’informa du prix, mais Gaïdic lui répondit qu’ils n’étaient pas à vendre, mais qu’elle les lui donnerait si elle consentait à la laisser passer une nuit dans la chambre de son fiancé. La demoiselle refusa d’abord, mais comme Gaïdic lui répondait qu’elle ne lui donnerait ses étoffes qu’à cette condition, elle finit par consentir. Le soir même, elle lui ouvrit la porte de la chambre de son fiancé, mais celui-ci dormait profondément, car elle avait eu soin de mêler à sa boisson de la poudre qui faisait dormir. En vain Gaïdic secoua son mari, il ne se réveilla pas.

Le lendemain, comme elle gardait encore ses poules à la même place, elle cassa une autre noix. Cette fois, ce fut une boutique pleine d’argenterie qui se dressa devant elle ; la demoiselle vint également voir les belles choses qu’elle avait, et pensant que cela lui servirait pour son mariage, elle voulait les acheter ; mais Gaïdic lui fit les mêmes conditions que pour les étoffes. En songeant à la poudre qui fait dormir, l’autre accepta aisément, et la pauvre fille de basse-cour passa vainement cette seconde nuit dans la chambre de son mari sans pouvoir le réveiller.

Le lendemain, elle se désolait, il lui vint à l’idée de tenter une troisième fois la chance, et elle cassa sa dernière noix. Cette fois ce fut un étalage de bagues d’or, de bijoux et de diamants qui lui apparut ; la jeune châtelaine voulut les acheter, mais Gaïdic lui ayant fait les mêmes conditions que les autres fois, elle accepta enfin en pensant toujours à la poudre qui endort. Mais cette fois elle fut déçue. Le valet d’Yves de Kermac’hek, qui avait deviné ce qui se passait, dit à son maître :

— Savez-vous que depuis deux nuits la fille de basse-cour couche dans votre chambre ?

— Tu rêves, ce n’est pas vrai.

— Je vous assure que si ; mais la demoiselle du château, pour que vous ne le sachiez pas, verse chaque soir de la poudre à faire dormir dans votre bol et vous vous endormez aussitôt ; mais, si vous voulez, ce soir, comme la fille de basse-cour doit venir, quand votre fiancée vous apportera à boire, faites semblant d’avaler la boisson, jetez-la derrière le lit et faites mine de dormir.

Yves de Kermac’hek suivit ce conseil. La demoiselle, croyant qu’il avait bu ce qui était dans le bol et qu’il dormait bien fort, le laissa avec la fille de basse-cour. Dès que Gaïdic fut seule avec son époux,