Aller au contenu

Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/133

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Mon père ?… je ne l’ai jamais vu ; jamais ma mère ne m’a parlé de lui. Mon père ?… hélas ! je suppose qu’il est mort.

— Et votre mère ?

— Je ne m’accorde pas bien avec elle. Nous nous inquiétons… nous avons peur l’une de l’autre…

Peur l’une de l’autre !… À ces mots pour la première fois, le soupçon me traversa l’esprit que sa mère pourrait bien être la personne qui l’avait fait enfermer.

— Ne me questionnez pas sur ma mère, continua-t-elle… J’aimerais mieux parler de mistress Clements… Mistress Clements est comme vous, elle ne croit pas que je doive être ramenée à l’hospice ; elle est charmée, comme vous, que j’aie pu m’en échapper. Elle a pleuré sur mon malheur, et a dit qu’il fallait soigneusement le tenir caché à tout le monde…

Son « malheur ? » quel sens donnait-elle à ce mot ? Suffisamment expliqué, me livrerait-il le motif qui avait pu la pousser à écrire la lettre anonyme ? Et ce motif était-il le même qui trop souvent conduit une femme à mettre obstacle, par des communications anonymes, au mariage de l’homme qui l’a perdue ? Je résolus d’éclaircir, si cela était possible, ce doute important, avant de continuer à échanger avec elle de vaines paroles.

— Quel malheur ? lui demandai-je.

— Le malheur que j’ai eu d’être enfermée, répondit-elle, laissant voir la surprise que ma question lui causait. De quel autre grand malheur pourrais-je donc me plaindre ?…

Je voulus insister, avec autant de ménagements que possible. Il était d’importance majeure de n’avancer qu’à pas certains dans l’investigation que j’avais entreprise.

— Il est un autre malheur, lui dis-je, auquel une femme peut être exposée, et qui la condamne pour la vie à l’ignominie, au remords.

— Quel est-il ? me demanda-t-elle, attentive.

— Celui d’avoir cru trop innocemment à sa propre vertu et à la sincérité, à l’honneur de l’homme qu’elle aime, lui répondis-je.