Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/240

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m’a jetée dans un grand trouble, quel effet ne produirait-elle pas sur ma sœur ? Il est déjà bien assez triste de penser que le départ de Walter nous a ôté, de tous nos amis, le plus dévoué ; celui sur lequel nous pouvions le mieux compter à l’heure critique, si jamais cette heure sonne pour nous, et nous trouve sans appui. Mais ce qui est bien pis encore, c’est de songer qu’en nous quittant, il va s’exposer aux dangers d’un climat pernicieux, d’un pays encore sauvage, habité par des populations sans frein. Il y aurait cruauté, en même temps que franchise, à mettre Laura au courant de tout ceci, sans une évidente, une urgente nécessité.

Je me demande presque si je ne devrais pas faire un pas de plus, et brûler immédiatement cette lettre qui pourrait, un jour ou l’autre, tomber en mauvaises mains. Non-seulement il y est parlé de Laura dans des termes qui doivent à jamais rester un secret entre mon correspondant et moi, mais il y revient sur les soupçons qu’il a conçus, — soupçons obstinés, inexplicables, alarmants au suprême degré, sur l’espionnage secret auquel il est en butte depuis son départ de Limmeridge. Il déclare avoir reconnu, parmi la foule qui encombrait les quais de Liverpool, au moment où l’expédition s’embarquait, deux individus qui le suivaient constamment à la piste dans les rues de Londres ; et il affirme positivement, qu’au moment de descendre dans le bateau, il a entendu prononcer derrière lui le nom d’Anne Catherick. Il ajoute, en propres termes : « Ces incidents ont une portée ; ces incidents doivent amener un résultat. Le mystère d’Anne Catherick n’est pas encore dévoilé ; peut-être ne la retrouverai-je jamais sur ma route ; mais si vous la rencontrez, miss Halcombe, tirez meilleur parti que je n’ai fait de cette précieuse occasion !… Une forte conviction dicte mes paroles. Je vous supplie de les garder en votre mémoire. » Telles sont les expressions dont il se sert. Nul danger que je les oublie. Je ne suis que trop disposée à repasser en mon souvenir toutes les paroles d’Hartright qui me rappellent Anne Catherick. Mais, véritablement je courrais des risques en gardant cette lettre. Le moindre accident pourrait la