Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/33

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nait, sous ses lueurs mystérieuses, un aspect assez sauvage pour qu’on se pût croire bien loin de la grande ville couchée pourtant au pied de ces coteaux déserts. L’idée de me replonger, plus tôt qu’il ne le fallait absolument, au sein de l’étouffante obscurité que j’allais retrouver à Londres n’avait pour moi aucun attrait. M’aller mettre au lit dans ma petite chambre privée d’air, ou bien me soumettre à quelque procédé de suffocation graduelle, me semblait, agité comme je l’étais de corps et d’âme, une seule et même chose. Je résolus de retourner en flânant, et par le plus long chemin que je pourrais prendre, vers mon odieux domicile ; de suivre à loisir les sentiers sinueux que je voyais se dessiner en blanc parmi les bruyères désertes, et de rentrer à Londres par son faubourg le moins encombré, en prenant d’abord Finchley-Road, pour me retrouver ensuite, aux fraîcheurs matinales, dans le voisinage de Regent’s Park.

Je cheminai donc lentement, absorbé dans le calme divin du tableau qui m’était offert, et admirant les douces alternatives de lumière et d’ombre que, de tous côtés, les flexions du sol inégal multipliaient sous mes yeux. Aussi longtemps que dura ce charmant début de ma promenade nocturne, mon âme s’abandonna, presque passive, aux impressions que ces grands aspects produisaient en elle ; c’est à peine si je pensais à quoi que ce fût ; — mes pensées, du moins, semblaient s’effacer sous l’énergie de mes sensations.

Mais quand j’eus quitté les bruyères et pris le chemin de traverses où mes yeux trouvaient beaucoup moins de pâture, les idées que me suggérait naturellement la modification prochaine de mes habitudes et de mes travaux, reprirent de plus en plus leurs droits à mon attention exclusive. Lorsque j’arrivai à l’extrémité du chemin, j’étais de nouveau complètement perdu dans les fantasques évocations qui me montraient tour à tour Limmeridge-House, M. Fairlie, et les deux jeunes personnes dont j’allais former le talent d’aquarellistes.

Je me trouvais maintenant parvenu à ce point spécial de mon trajet où quatre chemins se rencontrent : — celui