Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/39

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En ce moment, elle parlait haut et presque sur le ton de la menace, levant vers le ciel sa main fermée et l’agitant par un geste passionné ; puis, subitement, elle sembla reprendre possession d’elle-même, et réfrénant les éclats de sa voix, elle ajouta presque bas :

— Nommez-moi tous ceux que vous connaissez !

Je ne pouvais guère me refuser à une curiosité si insignifiante, et je lui livrai trois noms. Les deux premiers étaient ceux de deux chefs de famille dont j’avais les filles pour élèves ; le troisième, celui d’un jeune célibataire qui naguère m’avait emmené à bord de son yacht pour me faire faire quelques esquisses.

— Ah ! dit-elle avec un soupir de soulagement, vous ne le connaissez pas… Vous même, êtes-vous noble ?… êtes-vous titré ?

— Il s’en faut… Je ne suis qu’un pauvre professeur de dessin.

Au moment où mes lèvres articulaient cette réponse, peut-être avec quelque amertume, elle prit mon bras, par une de ces brusques inspirations qui lui étaient propres.

— Il n’est pas noble !… pas titré ! se redisait-elle. Dieu soit loué ! je puis me fier à lui…

J’étais parvenu jusqu’ici, par considération pour ma compagne, à maîtriser ma curiosité ; mais, cette fois, je n’y tins plus.

— Je crains que vous n’ayez de graves motifs de plainte contre quelque personnage noble et titré, lui dis-je. Je crains que ce « baronet, » dont vous ne voulez pas me révéler le nom, n’ait eu envers vous quelques torts graves. Serait-ce lui, par hasard, qui vous oblige à vous trouver ici, la nuit, dans un si grand embarras ?

— Ne me faites pas de question ! ne me forcez point à parler de ceci ! répondit-elle. Je ne suis pas encore en état… J’ai été cruellement traitée, trompée cruellement… Vous mettrez le comble à vos bontés, si vous vouliez marcher un peu plus vite et ne plus m’adresser la parole… Ce qui m’importe, maintenant, c’est de me calmer, si toutefois je le puis…