Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/733

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lettre de mistress Fairlie à son mari, qui m’avait jadis été lue, — la lettre où elle décrivait la ressemblance d’Anne avec Laure, et constatait, en même temps, l’intérêt affectueux que lui inspirait la petite étrangère, — cette lettre avait été écrite, incontestablement, en toute innocence de cœur. Il paraissait même douteux, en y réfléchissant, que M. Philip Fairlie lui-même eût été, plus que sa femme, sur la voie de la vérité. La misérable tromperie qui avait flétri le mariage de mistress Catherick, la dissimulation préméditée qu’elle en attendait, devaient à cet égard, la rendre muette, par précaution, d’abord, et peut-être aussi par orgueil, — en supposant même qu’elle se fût assuré les moyens de communiquer avec le père de l’enfant à naître, alors qu’il était éloigné d’elle.

Tandis que ces conjectures flottaient dans ma pensée, je ne pus m’empêcher de me rappeler cette menace de l’Écriture, sur laquelle nous avons tous médité avec surprise et terreur : « Les fautes des pères sont châtiées dans leurs enfants. » Sans cette fatale ressemblance qui existait entre les deux filles du même père, le complot dont Anne avait été l’instrument innocent et Laura l’innocente victime, jamais n’aurait été tramé contre elles. Avec quelle infaillible, avec quelle effrayante sûreté le long enchaînement des circonstances ne nous menait-il pas, de cette faute irréfléchie commise par le père, à l’impitoyable injustice que ses enfants avaient subie !

Ces pensées, et bien d’autres qui me vinrent en même temps, rappelaient à mon esprit le petit cimetière du Cumberland où Anne Catherick reposait maintenant. Je songeai aux jours lointains où je l’avais rencontrée auprès du tombeau de mistress Fairlie, et où je l’avais vue alors pour la dernière fois. Je me rappelai ses pauvres mains si faibles, étreignant la pierre funéraire, et les paroles, empreintes d’une lassitude extrême, qu’avec un élan désespéré elle adressait aux restes mortels de sa protectrice et de son amie : Oh ! si je pouvais mourir, être cachée là, reposer près de « vous » ! À peine s’était-il écoulé plus d’un an depuis qu’elle avait exhalé ce vœu funèbre, et par quelles voies cachées, par quelle effrayante