Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/735

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velle. L’aspect usé, fatigué, qui avait donné à son visage une vieillesse précoce, s’en effaçait rapidement ; et l’expression qui, dans les temps passés, avait été le plus puissant de ses charmes, fut aussi la première des beautés qu’elle reconquit. Mes observations les plus assidues ne découvraient plus en elle qu’un résultat sérieux du complot qui avait menacé jadis et sa raison et sa vie. Tout souvenir des événements qui s’étaient accomplis depuis le jour où elle avait quitté Blackwater-Park jusqu’à celui où nous nous étions rencontrés dans le cimetière de Limmeridge, semblait être chez elle effacé sans retour. La moindre allusion à cette période de temps la faisait pâlir et trembler encore ; ses paroles devenaient vagues et confuses, sa mémoire errait et s’égarait aussi désespérément que jamais. En ceci, et en ceci seulement, l’empreinte du passé restait profonde, trop profonde pour être effacée.

Pour tout le reste, son établissement se complétait si bien que, dans ses jours les meilleurs et les plus sereins, elle avait l’air et le langage de la Laura d’autrefois. Ce changement heureux amenait, pour nous deux, le résultat qu’il devait naturellement avoir. De son côté comme du mien, s’éveillaient maintenant les impérissables souvenirs de la vie que nous avions menée autrefois dans le Cumberland ; c’étaient en même temps les souvenirs de notre mutuel amour.

Graduellement, et par des nuances insensibles, nos relations vis-à-vis l’un de l’autre trahirent une certaine gêne. Les paroles de tendresse que je lui adressais si naturellement, au temps de ses souffrances et de ses peines, ne franchissaient plus mes lèvres sans un certain effort. Dans le temps où ma crainte de la perdre obsédait le plus mes pensées, je ne manquais jamais de l’embrasser, le soir, en nous quittant, et quand nous nous retrouvions le matin. Ces baisers fraternels, nous y avions maintenant renoncé ; une convention tacite semblait les avoir bannis à jamais de notre existence. De nouveau, venant à s’étreindre, nos mains frémissaient. Quand Marian n’était pas là, jamais il ne nous arrivait de nous regarder longuement, et si nous restions seuls, la conversation