Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/9

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à un des plus nombreux auditoires que l’Angleterre puisse offrir, après que le plus grand romancier de notre pays venait de le tenir sous le charme de son talent, je ressentis une anxiété assez naturelle en me demandant si je me montrerais digne d’une telle marque de confiance. Et, à ce moment critique, l’idée que j’avais ajournée quelques années auparavant m’étant revenue en tête, je résolus, cette fois, de m’en débarrasser en la réalisant. Toutes les facilités désirables m’étaient offertes ; on me laissait maître de la longueur à donner à mon œuvre ; on ne limitait en rien le choix du sujet à traiter : la plus entière indépendance, quant à la forme que je voudrais lui donner, m’était garantie contre toute intervention quelconque. Ce fut sous ces favorables auspices que, pour la seconde fois, je me mis à ce travail déjà tenté vainement. En d’autres termes, je me donnai pour tâche de faire raconter mon roman par les personnages du roman eux-mêmes (comme les témoins que j’avais entendus au tribunal), c’est-à-dire successivement par chacun d’eux, et en les plaçant dans les situations diverses que la suite des événements leur aurait faites, de manière à ce que tous prissent, tour à tour, la suite du récit, et progressivement le conduisissent à son terme.

Si le résultat de ce travail, ainsi modifié par les circonstances, ne m’avait fait aboutir à rien de plus qu’à une certaine nouveauté de pur agencement, je n’aurais pas imaginé d’en parler ici. Pour un si mince résultat, la moindre attention eût été de trop. Mais, à mesure que j’avançais dans mon travail, je découvris que la substance même du roman, aussi bien que sa forme littéraire, tirait profit des nécessités nouvelles auxquelles je m’étais astreint de gaieté de cœur. L’exécution de mon plan me forçait à faire progresser sans relâche, simultanément et constamment, le récit pris en bloc ; elle m’obligeait à établir dans mon esprit une conception parfaitement nette des personnages avant de me hasarder à les placer dans