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qu’on sentait le voisinage de la mer à la vivacité de l’air.

Je m’étonnai dans mon for intérieur de la réputation faite à M. Cuff. Nous atteignîmes la maison, dans l’aimable disposition de deux dogues attachés à la même chaîne pour la première fois de leur vie.

Je demandai milady. Sur la réponse qu’on me fit qu’elle était dans les serres, j’envoyai un domestique la prévenir, et nous entrâmes dans les jardins à fleurs. Pendant que nous attendions ma maîtresse, M. Cuff, regardant à travers la voûte de verdure à sa gauche, aperçut notre parterre de rosiers, et se dirigea immédiatement de ce côté avec la première apparence de vivacité que je lui eusse vu. Ce qui étonna beaucoup le jardinier et excita secrètement mon mépris, ce fut que le fameux agent de police se trouva être un puits de science sur l’article ridicule de la culture des roses.

« Ah ! vous avez ici la bonne exposition, sud et sud-ouest, » dit le sergent en balançant sa tête grise et en donnant à sa voix mélancolique une intonation presque joyeuse. « Pour un parterre de rosiers, rien de mieux que cette forme-ci : un cercle contenu dans un carré. Oui, c’est bien cela, des allées entre chaque plate-bande. Mais elles ne devraient pas être sablées comme celles-ci. Du gazon, monsieur le jardinier, des allées de gazon entre vos arbustes ; le gravier est trop sec pour les roses. Voilà un joli carré de roses blanches et de roses aurore. C’est un mélange qui fait toujours bien, n’est-ce pas ? Voici la rose blanche musquée, monsieur Betteredge, notre vieille rose anglaise qui tient bien sa place au milieu de toutes ces jolies nouveautés, la belle petite ! » fit le sergent tournant la rose musquée entre ses doigts, et lui parlant avec câlinerie comme à un enfant.

Voyons, était-ce là l’homme qui ferait rentrer miss Rachel en possession de son diamant, et qui parviendrait à mettre la main sur un voleur ?

« Vous paraissez fort aimer les roses, sergent ? lui dis-je.

— Je n’ai guère le temps d’aimer beaucoup quoi que ce soit, me répondit M. Cuff. Mais quand j’ai un moment à donner à la tendresse, le plus souvent, monsieur Betteredge, ce sont les roses qui en profitent. J’ai commencé la vie au milieu d’elles, chez mon père qui était horticulteur, et j’espère bien finir mes jours en leur compagnie. Un de ces matins, s’il plaît à