Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/118

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Dieu, je cesserai de découvrir des voleurs, et j’essayerai d’élever des rosiers. Mais, jardinier, il y aura des sentiers gazonnés entre leurs rangs, reprit le sergent, auquel les allées de gravier de notre parterre laissaient une impression défavorable.

— Cela me semble un assez singulier goût, monsieur, me hasardai-je à lui dire, dans la carrière que vous avez adoptée ?

— Si vous regardez tout autour de vous (ce que la plupart des gens ne font pas), reprit M. Cuff, vous serez convaincu que presque toujours les goûts d’un homme sont en contradiction avec la nature de ses occupations : ainsi en est-il pour moi ; si vous trouvez une opposition plus forte que celle des voleurs et des roses, je tâcherai de modifier mes goûts, bien qu’il soit un peu tard, à mon âge. Vous vous servez de la rose incarnate pour greffer les espèces tendres, n’est-ce pas, monsieur le jardinier ? je le pensais bien. Ah ! voici une dame qui s’avance vers nous ; est-ce lady Verinder ? »

Il l’avait aperçue avant que ni moi ni le jardinier nous fussions doutés de son approche, et cependant nous savions, nous, de quel côté elle pouvait venir, tandis que lui l’ignorait ; je commençai à le croire plus intelligent qu’il ne le paraissait à première vue.

L’aspect du sergent ou la mission qu’il venait remplir — peut-être l’un et l’autre — semblèrent causer à milady quelque embarras. Je la vis pour la première fois depuis que je la connaissais ne sachant que dire à un étranger ; mais M. Cuff sut la mettre à l’aise presque aussitôt.

Il demanda si un autre de ses collègues avait été chargé avant lui d’éclaircir l’affaire du vol ; quand il eut appris qu’un autre personnage avait été mandé et se trouvait encore dans la maison, il exprima le désir de causer avec lui avant de prendre aucune mesure nouvelle.

Milady marcha en avant pour rentrer. Avant de la suivre, le sergent ne put s’empêcher d’adresser une injonction finale au jardinier. « Décidez milady à essayer des sentiers gazonnés, lui dit-il, jetant un regard sévère vers les allées sablées ; pas de gravier ! pas de gravier surtout ! »

Je serais bien en peine d’expliquer le pourquoi, mais tou-