Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. l’inspecteur parut vexé, mais il s’en tira de son mieux. « Je ne saurais répondre de ma mémoire à ce sujet, sergent, répondit-il ; ce n’est qu’une bagatelle, une vraie bagatelle. ».

Le sergent Cuff fixa M. Seegrave avec le même regard dédaigneux qu’il avait eu pour les allées sablées dans le parterre des rosiers, puis d’un ton mélancolique il nous donna le premier échantillon que nous eûmes de ses talents si vantés :

« J’ai fait la semaine dernière, monsieur l’inspecteur, une enquête privée ; le motif de l’enquête était un meurtre, et dans le cours de l’instruction on trouva sur une nappe de table une tache d’encre dont personne ne pouvait expliquer l’origine ; ma longue expérience de la triste vie de ce triste monde, ne m’a jamais encore fait rencontrer une chose qui pût être traitée de bagatelle ; avant de faire un pas de plus dans cette affaire-ci, il faudra examiner celui des jupons qui a causé la tache, et nous assurer avec certitude du moment précis où cette peinture était encore humide. »

L’inspecteur, sous le coup de l’humeur que lui causait la leçon, demanda s’il fallait rappeler toutes les femmes. M. Cuff réfléchit un instant, soupira, et secoua la tête.

« Non, dit-il ; éclaircissons d’abord la question de la peinture ; il n’y a là qu’à répondre par oui ou par non, ce ne pourra être long. Le chapitre des jupons féminins, lui, sera interminable. Quelle heure était-il hier matin, lorsque les femmes se trouvaient réunies ici ? Environ onze heures, n’est-ce pas ? Y a-t-il une personne de la maison qui sache si la peinture était sèche ou humide, hier matin à onze heures ?

— Le neveu de milady, M. Franklin Blake, le sait, répondis-je.

— Ce monsieur est-il dans la maison ? »

M. Franklin était autant à notre portée que nous pouvions le désirer, et il n’attendait que l’occasion de faire connaissance avec l’éminent Cuff. Une minute après, il nous rejoignait, et faisait la déposition suivante :

« Cette porte, sergent, a été peinte par miss Verinder, avec mon aide, et au moyen d’un siccatif de ma composition. Ce siccatif sèche n’importe quelles couleurs dont on se serve, dans l’espace de douze heures.