Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de voir cette somme rester là sans que personne veuille la prendre ! » cria cette déraisonnable créature ; après quoi elle s’assit brusquement, et regardant le sergent comme pour dire : « La somme est dans ma poche, tâchez donc un peu de la ravoir. »

Cette fois, non-seulement je pris la porte, mais je gagnai la route et marchai vers la maison. Expliquez ceci comme vous pourrez : je me sentais mortellement offensé par les deux êtres que je quittais. Je n’avais pas fait dix pas que le sergent me rejoignait.

« Merci de votre présentation, monsieur Betteredge, me dit-il ; grâce à vous, je connais une sensation nouvelle ; Mrs Yolland m’a parfaitement dérouté. »

Je fus sur le point de lui lancer une réponse impertinente, et cela par l’unique raison que, me sentant de si méchante humeur, je la déversais sur tout le monde. Mais lorsqu’il me fit cet aveu, j’éprouvai une sorte de satisfaction et je me demandai si le mal n’était pas moins grave que je ne le craignais. Je gardai un silence prudent tant que je n’étais pas mieux mis au courant.

« Oui, reprit le sergent qui semblait lire mes pensées à travers l’obscurité, votre intérêt pour Rosanna vous fera apprendre avec plaisir qu’au lieu de me mettre sur la piste vous avez servi à me la faire perdre entièrement. Ce que cette fille a fait ce soir est assez clair : elle a réuni les deux chaînes, les a attachées à la hampe de la boîte, et a plongé celle-ci dans l’eau de la baie ou dans le sable mouvant, puis elle aura fixé le bout de la chaîne à quelque rocher connu d’elle seule. Elle laissera cette caisse ainsi amarrée et soustraite aux regards, jusqu’à ce que l’affaire du diamant soit apaisée ; alors elle pourra la retirer à son aise et quand il lui plaira ; tout ceci apparaît nettement. Mais, poursuivit le sergent sur un ton d’impatience que je ne connaissais pas encore à sa voix, le mystère à pénétrer est de savoir que diable elle a pu cacher dans cette boîte. »

Je pensai intérieurement : la Pierre de Lune ! mais je me bornai à dire au sergent :

« Ne sauriez-vous le deviner ?

— Ce n’est pas le diamant, dit M. Cuff ; l’expérience de toute ma vie est en défaut, si Rosanna Spearman possède le diamant. »