Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/156

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À ces mots, la maudite fièvre d’enquête me ressaisit de nouveau, et je m’oubliai, dans mon ardent désir de deviner cette nouvelle énigme ; aussi m’écriai-je inconsidérément : « Le vêtement taché ! »

Le sergent fit halte dans l’obscurité, et posa sa main sur mon bras.

« Un objet jeté dans les sables mouvants reparaît-il jamais à la surface ? demanda-t-il.

— Jamais, lui répondis-je ; pesant ou léger, ce qui descend dans les sables y est englouti et on ne le revoit plus.

— Rosanna Spearman connaît-elle cette particularité ?

— Elle le sait aussi bien que moi.

— Alors, dit M. Cuff, que ne se bornait-elle à placer une pierre dans ce vêtement, et à jeter le tout dans le gouffre ? On ne voit même pas l’ombre d’une raison pour l’avoir caché, et pourtant elle n’a voulu manifestement que le cacher et non le perdre ! Voilà une énigme à deviner ! continua le sergent, marchant toujours. Le vêtement sali par la peinture était-il un jupon ou une robe de chambre ? ou bien est-ce quelque autre objet qu’il faille conserver à tout prix ? Monsieur Betteredge, s’il ne survient pas d’empêchement, il faut que je me rende demain à Frizinghall, et que je découvre ce qu’elle a acheté en ville lorsqu’elle y est allée furtivement et a rapporté l’étoffe nécessaire pour faire le vêtement qu’il devenait urgent de remplacer. Il y a quelque inconvénient à quitter la maison dans les circonstances présentes, mais celui d’agir dans l’obscurité, sans avoir de nouveaux renseignements, est encore plus grave. Pardonnez-moi d’être aussi agacé, mais je me sens amoindri à mes propres yeux, car Rosanna Spearman est parvenue à m’embarrasser sérieusement. »

Lorsque nous revînmes, les domestiques soupaient. La première personne que nous aperçûmes fut l’agent de police que l’inspecteur Seegrave avait laissé à notre disposition. Le sergent lui demanda si Rosanna était rentrée. Oui. Quand cela ? Depuis une heure environ. Qu’avait-elle fait ? Elle était montée ôter son manteau et son chapeau, et soupait maintenant tranquillement avec les autres domestiques. Sans faire de réflexions, le sergent Cuff, qui tombait de plus en plus bas dans sa propre estime, s’éloigna et gagna le revers de