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— C’est très-important, milady, répondit-il.

— Je dois alors vous dire que miss Verinder a l’intention d’aller passer quelque temps chez sa tante, Mrs Ablewhite, de Frizinghall. Elle compte nous quitter de très-bonne heure demain matin. »

M. Cuff me regarda. Je fis un pas en avant pour parler à ma maîtresse, mais le cœur me manqua, je l’avoue, et je reculai sans rien dire.

Le sergent poursuivit : « Puis-je me permettre de demander à milady quand miss Verinder lui a communiqué ses résolutions ?

— Il y a à peu près une heure, » répondit milady.

Le sergent Cuff me regarda derechef. On dit que le cœur des vieillards ne s’émeut pas facilement. Mon cœur n’aurait pourtant guère pu battre plus fort à l’âge de vingt-cinq ans !

« Je n’ai aucun droit, milady, reprit le sergent, de contrôler les actions de miss Verinder. Tout ce que je puis vous prier de faire, c’est de remettre son départ, s’il y a moyen, à une heure de la journée un peu plus avancée. Je suis forcé d’aller moi-même à Frizinghall demain matin, et je serai de retour à deux heures au plus tard. Si vous pouviez empêcher miss Verinder de quitter la maison avant cette heure-là, je désirerais lui dire deux mots, et cela à l’improviste, avant son départ. »

Milady me chargea de transmettre au cocher l’ordre de ne point faire avancer la voiture pour miss Rachel avant deux heures.

« Avez-vous quelque chose à ajouter, dit-elle ensuite au sergent.

— Un mot encore, milady. Si miss Verinder éprouvait quelque surprise de cette modification à ses projets, veuillez bien ne pas me nommer moi comme étant la cause de ce changement. »

Ma maîtresse leva la tête vivement de dessus son livre, comme si elle allait parler ; mais elle se contint par un effort de volonté, baissa de nouveau les yeux, et nous congédia d’un geste de la main.

« Voilà une femme bien remarquable, me dit le sergent, lorsque nous fûmes revenus dans le hall ; sans son empire sur elle-même, le mystère qui vous intrigue tant, monsieur Betteredge, eût été dévoilé ce soir. »