Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/161

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Verinder est restée secrètement en possession de son diamant, et elle a fait de Rosanna Spearman sa confidente, parce qu’elle a prévu que cette fille serait soupçonnée du vol ; voilà l’affaire dans toute sa simplicité. Prenez-moi de nouveau au collet, monsieur Betteredge ; si votre indignation y trouve quelque soulagement, ne vous en privez pas ! »

Dieu me vienne en aide ! mon chagrin ne pouvait être adouci de cette manière. « Donnez-moi vos motifs, » fut tout ce que je trouvai à lui dire.

« Vous connaîtrez demain mes raisons, me répondit le sergent. Si miss Verinder refuse (et vous verrez qu’il en sera ainsi) de renoncer à aller chez sa tante, je serai contraint d’exposer toute la situation à lady Verinder. De plus, comme je ne puis prévoir ce qui résultera de cet entretien, je vous demanderai d’y assister, afin de juger les deux côtés de la question. Laissons ceci en paix pour cette nuit ; non, monsieur Betteredge, vous n’obtiendrez plus un seul mot de moi ce soir au sujet de la Pierre de Lune. Notre souper est là qui nous attend, et c’est une des faiblesses humaines que je traite avec le plus de respect. Si vous voulez sonner, je dirai les grâces.

— Je vous souhaite un bon appétit, sergent, dis-je, mais le mien a disparu. Je vais attendre pour m’assurer qu’on vous serve bien, puis je vous demanderai la permission de vous laisser, afin de tâcher de reprendre mon calme à moi tout seul. » Je veillai à ce qu’il fût bien pourvu de toute chose, mais je n’aurais pas été fâché que le souper l’eût étouffé. Le jardinier en chef (M. Begbie) entra à ce moment avec son compte de semaine ; aussitôt le sergent l’entreprit sur les gazons et les mérites des roses diverses. Je les laissai ensemble, et sortis le cœur serré. Je me trouvais pour la première fois depuis bien des années aux prises avec un chagrin que ma pipe ne pouvait dissiper, et qui était même rebelle aux consolations de Robinson Crusoé.

Dans cet état d’agitation fébrile, ne possédant même pas une chambre que je pusse me réserver entièrement, je fis un tour sur la terrasse, et je réfléchis à fond. Mes pensées seraient de peu d’intérêt à faire connaître, mais je me trouvai vieux, cassé, peu propre à mon emploi, et me demandai, pour la première fois de ma vie, s’il ne plairait pas à la Provi-