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Il avait fait, selon moi, bien pis que d’écouter, car il s’était rappelé ce que je lui avais raconté de la passion de Rosanna pour M. Franklin, et il comptait là-dessus lorsqu’il lançait son insidieux appel à l’intérêt de M. Franklin pour Rosanna, de façon à être entendu de celle-ci.

Je gardai cette réflexion pour moi.

« Quant à écouter, monsieur, lui dis-je, nous arriverons à user tous des mêmes moyens si nous continuons encore longtemps cette existence-là. Espionner, prêter l’oreille, c’est l’occupation naturelle de personnes embarquées sur une pareille galère. Sous peu de jours, voyez-vous, nous serons tous frappés de mutisme, par la bonne raison que nous tâcherons d’épier mutuellement nos secrets, et que nous nous en rendrons tous compte mutuellement. Pardonnez-moi cette sortie, monsieur ; l’odieux mystère qui règne sur cette maison me met dans un état d’exaspération, mais je n’oublierai pas ce dont vous me chargez, et je chercherai la première occasion pour m’expliquer avec Rosanna.

— Vous ne lui avez pas encore parlé au sujet de la soirée d’hier, dites-moi ?

— Non, monsieur.

— Alors, n’en faites rien. Il est peut-être préférable que je ne provoque pas les confidences de cette fille avec la surveillance qu’exerce le sergent sur nous. Ma conduite doit vous paraître dépourvue de logique, Betteredge ? C’est que, pour sortir de cette triste histoire du diamant, je ne vois aucun moyen qui ne soit vraiment désastreux, à moins que l’on ne puisse prouver la culpabilité de Rosanna ; et pourtant je ne puis ni ne veux aider M. Cuff dans ses recherches contre elle. »

C’était insensé sans doute, mais je ne sympathisais que trop bien avec M. Franklin, puisque j’éprouvais les mêmes sentiments que lui. Si dans votre vie vous avez eu occasion de vous conduire comme un simple mortel, peut-être nous comprendrez-vous tous deux !

Voici, en résumé, comment les choses se passèrent chez nous, pendant l’absence du sergent Cuff :

Miss Rachel attendit, obstinément renfermée dans sa chambre, le moment où la voiture la conduirait chez sa tante. Milady et son neveu déjeunèrent ensemble ; aussitôt après,