Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/170

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dans la maison. Lorsqu’elle vit que M. Franklin n’était plus seul, elle s’arrêta sur place, comme embarrassée du parti qu’elle avait à prendre. Pénélope resta près d’elle. M. Franklin les aperçut aussi promptement que moi, mais le sergent, avec son infernale ruse, feignit de ne les avoir pas remarquées. Tout ceci se passa en un clin d’œil, et avant que M. Franklin et moi eussions pu ouvrir la bouche ; le sergent reprit la conversation de l’air d’un homme qui continue un entretien simplement interrompu.

« Ne craignez pas, monsieur, de nuire à cette fille, dit-il à haute voix de façon à être entendu de Rosanna ; au contraire, je vous engage à m’honorer de votre confiance si vous portez de l’intérêt à Rosanna Spearman. »

M. Franklin fit alors, lui aussi, semblant de n’avoir pas aperçu les deux jeunes filles, et répondit sur le même ton élevé :

« Je ne m’intéresse en rien à Rosanna Spearman. »

Je regardai vers l’extrémité de l’allée. Tout ce que je pus voir de si loin fut que Rosanna se retourna subitement dès que M. Franklin eut cessé de parler. Au lieu de résister à Pénélope comme elle l’avait fait jusqu’à présent, elle laissa ma fille la prendre par le bras et la ramener vers la maison.

La cloche du déjeuner sonnait lorsque les deux amies disparurent, et le sergent fut forcé d’abandonner son jeu. Il me dit tranquillement : « Je vais aller à Frizinghall, monsieur Betteredge, et je serai de retour avant deux heures. » Il nous quitta sans ajouter un mot de plus et nous fûmes délivrés de lui pendant quelques heures.

« Il est indispensable que vous me raccommodiez avec Rosanna, me dit M. Franklin quand nous fûmes seuls. La fatalité veut que je dise ou fasse toujours quelque maladresse devant cette malheureuse fille. Vous aurez bien compris que le sergent Cuff nous avait tendu un piège de sa façon. S’il avait pu me troubler ou l’exaspérer, elle, peut-être l’un de nous eût-il laissé échapper quelque parole utile à ses desseins. Sous le coup du moment je n’ai rien vu de mieux à faire que ce que j’ai l’ait ; j’ai réussi en ce sens que Rosanna s’est tue et que le sergent a vu que je le pénétrais. Il devait écouter hier, Betteredge, lorsque nous causions ensemble. »