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comprendre la recommandation de ne pas lui parler en particulier, que M. Franklin m’avait chargé de lui faire. Tâtant mon terrain, petit à petit, j’en vins à lui dire que M. Franklin était parti se promener.

« Cela ne fait rien, répondit-elle, je n’ennuierai pas M. Franklin de moi aujourd’hui.

— Pourquoi ne pas vous ouvrir à milady ? repris-je avec insistance ; rien ne vous ferait plus de bien que de vous confier à la maîtresse si chrétienne et si charitable qui vous a toujours témoigné tant de bonté. »

Elle me regarda avec une attention soutenue, comme si elle eût voulu graver mes paroles dans sa tête ; puis elle reprit le balai de mes mains, et se dirigea lentement vers une autre partie du corridor.

« Non, dit-elle, en continuant à balayer, et se parlant à elle-même, je sais un moyen plus sûr de me mettre l’esprit en repos.

— Quel est-il, ce moyen ?

— Ayez la bonté de me laisser continuer mon ouvrage. »

Pénélope la suivit, et lui offrit de l’aider.

Elle répondit :

« Non, je préfère travailler ; merci bien, Pénélope. »

Et se tournant vers moi :

« Je vous suis bien reconnaissante, monsieur Betteredge. »

Rien ne pouvait l’émouvoir, et il ne me restait guère autre chose à lui dire. Je fis signe à Pénélope ; elle me suivit, et nous la laissâmes, comme nous l’avions trouvée, balayant avec l’air d’une personne qui rêve.

« Cet état demande les soins d’un médecin, dis-je ; il dépasse mes connaissances. »

Ma fille me rappela alors la maladie de M. Candy, due, si vous vous en souvenez, au froid qu’il avait pris lors de la soirée de notre grand dîner. Nous avions son aide, un certain M. Ezra Jennings, à notre disposition ; mais on ne le connaissait guère ; M. Candy l’avait pris sous d’assez singuliers auspices, et, à tort ou à raison, il ne possédait ni la sympathie ni la confiance d’aucun de nous. Il y avait bien d’autres médecins à Frizinghall, mais tous nous étaient étrangers, et Pénélope doutait avec raison que des étrangers pussent soigner Rosanna avec efficacité.