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Le pêcheur montra le roulis causé par l’amoncellement de l’eau qui se pressait sur le grand banc de sable, ainsi que les vagues formidables dont l’écume venait blanchir les rochers environnants, puis il répondit :

« Jamais on n’a construit de bateau qui ait pu traverser cela. »

Le sergent contempla une dernière fois les marques de pas que la pluie effaçait rapidement.

— Voilà, reprit-il, la preuve irrécusable qu’elle n’a pu revenir par la voie de terre, et là, dit-il en désignant le pêcheur, nous avons l’affirmation de M. Yolland que le retour n’était pas possible par eau. »

Il s’arrêta, et réfléchit en silence.

« On l’a vue courir vers cet endroit-ci environ une demi-heure avant que je quittasse la maison, dit-il à Yolland ; un peu de temps s’est écoulé depuis lors ; mettons une heure en tout. À quelle hauteur pouvait alors être l’eau de ce côté-ci des rochers ? »

Il désignait le côté du sud, celui que n’occupaient pas les sables mouvants.

« Telle qu’est la marée d’aujourd’hui, répondit Yolland, il ne pouvait pas il y a une heure y avoir la profondeur nécessaire pour noyer un chat de ce côté-ci de l’Aiguille. »

Le sergent se tourna du côté du nord et des Sables-Tremblants.

« Et par là ? demanda-t-il.

— Encore moins, dit l’homme ; les Sables-Tremblants pouvaient être baignés par l’eau, rien de plus. »

Le sergent revint vers moi, et me dit que l’accident avait dû avoir lieu sur le bord des Sables-Tremblants. À ce moment ma langue se délia :

« Ce n’est pas un accident, m’écriai-je ; elle est venue ici, lasse de l’existence ; elle désirait mettre fin aux misères de sa vie ! »

Il eut un violent soubresaut.

« Qu’en savez-vous ? » demanda-t-il.

Les assistants m’environnèrent aussitôt. Le sergent retrouva son sang-froid, et les éloigna.

« C’est un vieillard, leur dit-il ; ce tragique événement l’a bouleversé, laissez-le seul un instant. »