Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/186

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« Elle aura voulu revenir à la cachette, entendis-je le sergent se dire à lui-même, et la pauvre fille aura été victime de quelque terrible accident. »

L’expression étrange que j’avais vue à Rosanna, l’altération de son regard, de sa voix, la façon automatique dont elle avait répondu à mes avances affectueuses, cette scène du corridor peu d’heures auparavant, tout cela se retraça à ma pensée avec la promptitude de l’éclair, et j’eus, pendant que le sergent parlait encore, l’intuition qu’il était loin de l’affreuse vérité. J’essayai de lui faire part de l’effroi qui me glaçait. J’essayai de dire :

« Sergent, elle a été chercher la mort volontairement. »

Non, je ne pus ; ma langue était devenue muette, et un frisson agitait tous mes membres. Je ne sentais pas la pluie, je ne distinguais plus les flots ; cette pauvre créature se dressait devant moi comme à travers un rêve. Je la revis dans le passé, au jour où je la fis entrer chez nous ; je crus l’entendre encore quand elle me disait que les Sables-Tremblants l’attiraient malgré elle, et qu’elle se demandait si sa tombe ne serait pas là. L’horreur de cette mort me pénétra par le souvenir de mon enfant ; ma fille et elle étaient du même âge ; soumise à d’aussi dures épreuves, ma fille eût pu mener cette triste existence, et périr de cette affreuse mort !

Le sergent me souleva obligeamment, et eut l’attention de me tourner du côté où je ne pouvais voir la place qui avait dû engloutir Rosanna.

Un peu remis, grâce à ces soins, je pus reprendre ma respiration, et voir les choses telles qu’elles étaient réellement. Je portai mes yeux vers les collines de sable, et j’aperçus les domestiques et le pêcheur Yolland qui couraient vers nous, tous saisis d’alarme, et nous demandaient si nous avions trouvé Rosanna. En très-peu de mots, le sergent les mit au courant par le témoignage des pas empreints sur le sable, et leur dit qu’un malheur avait dû avoir lieu. Ensuite il prit le pêcheur à part et lui posa une question, en faisant face de nouveau à la mer.

« Dites-moi, lui demanda-t-il, si un bateau a pu, par un temps comme celui-ci, ramener une personne venant de ces rochers jusqu’à l’endroit où s’arrêtent les empreintes de pas ?