Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/199

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ordinaires de la raison pure, et vous verrez que vous parerez les coups de griffe de tous ces gens sensés qui vous égratignent sans merci, tout en vous assurant que c’est pour votre bien !

Ma maîtresse et moi, nous restions silencieux ; le sergent poursuivit. Seigneur Dieu ! quel agacement j’éprouvai en voyant le peu d’impression que lui faisait notre silence !

« Voilà les faits, milady, tels qu’ils se présentent contre miss Verinder seule. Il s’agit maintenant d’établir ceux qui s’élèvent à la fois et contre miss Verinder et contre la pauvre Rosanna Spearman. Revenons, si vous le voulez bien, au refus que fit votre fille de laisser examiner ses effets personnels ; après cet incident qui fixa mes soupçons, j’eus à me demander d’abord comment je dirigerais l’enquête, puis si miss Verinder n’avait pas quelque complice parmi les servantes de la maison. Après de longues réflexions, je me décidai à mener l’affaire d’une façon contraire aux traditions accoutumées de la police, et cela par le motif suivant : j’étais en présence d’un scandale domestique, et je me devais à moi-même de le circonscrire dans le cercle de la famille. Faire le moins de bruit possible, et y mêler le moins d’étrangers que je le pourrais, c’était le mieux. Quant à la marche habituelle qui consiste à arrêter les gens préventivement, à les traduire devant les magistrats, et le reste, il ne fallait pas y songer, du moment que, comme je le croyais, la fille de lady Verinder était au fond de toute cette affaire. Dans cet état de choses, je pensai qu’avec sa position dans la maison, sa profonde connaissance des domestiques, son zèle pour les intérêts de la famille, M. Betteredge serait l’agent le plus sûr et le plus convenable dont je pusse me servir.

« J’avais songé d’abord à M. Blake, mais là je rencontrai un obstacle imprévu. Il découvrit, lui, presque dès le début la portée de mes soupçons, et son attachement pour miss Verinder rendit impossible notre entente mutuelle. Si je vous fatigue, milady, par tant de détails, c’est afin de bien vous prouver combien je tenais à ce que l’affaire ne sortît pas du cercle de votre famille ; je suis le seul étranger initié à ces particularités, et ma carrière tout entière dépend de ma discrétion. »

Ici, je sentis que ma carrière demandait au contraire que