Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/200

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je ne gardasse pas le silence. À l’âge où j’étais parvenu, être représenté à ma maîtresse comme une sorte d’agent de police subalterne, encore une fois, c’était plus que ma charité chrétienne n’en pouvait supporter.

« Je désire affirmer devant milady, dis-je, que je n’ai jamais à ma connaissance trempé un seul moment dans ces abominables manœuvres de police, et cela en aucune façon ! Je défie le sergent Cuff de me contredire ! »

Ayant donné ainsi un libre cours à mon indignation, je me sentis plus satisfait. Milady m’honora d’une petite tape amicale sur l’épaule ; je dirigeai sur le sergent le regard de l’honnêteté indignée, curieux de juger de l’effet que lui ferait enfin une pareille déclaration ! M. Cuff me regarda avec la douceur d’un agneau, et parut m’apprécier mieux que jamais !

Milady l’engagea à poursuivre son maudit informé.

« Je vois que vous avez fait de votre mieux, dit-elle, et dans le sens de ce qui vous semblait être mon intérêt évident. Je suis prête à entendre ce qu’il vous reste à dire.

— Le point que j’aborderai maintenant, reprit le sergent, concerne Rosanna Spearman. Milady peut se rappeler que je reconnus tout de suite cette jeune fille, lorsqu’elle nous apporta le livre de blanchissage. Jusqu’alors, je doutais que miss Verinder se fût confiée à quelqu’un de la maison ; je changeai d’avis en voyant Rosanna, et je soupçonnai cette dernière d’être mêlée à la disparition de la Pierre de Lune. La pauvre créature a péri misérablement, et, maintenant qu’elle n’est plus, je désire vous convaincre que je n’ai pas usé envers elle d’une sévérité excessive. S’il s’était agi d’un vol ordinaire, je n’en aurais pas, dans ma pensée, accusé Rosanna plus qu’aucun autre des domestiques de la maison, car notre expérience des femmes sorties des refuges nous apprend que, mises à l’épreuve dans un service régulier, bien traitées par leurs maîtres, elles se conduisent pour la plupart honnêtement, ont un repentir sincère et se rendent dignes de l’intérêt qu’on leur témoigne.

« Mais ici il y avait, selon moi, une fraude préméditée au fond par le détenteur du diamant. Je fis donc, en suivant toujours mon point de vue, cette réflexion-ci par rapport à Rosanna : miss Verinder se bornerait-elle (milady m’excusera) à nous laisser croire à la perte du diamant ? ou bien