Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/208

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que jamais on ne tomberait sur une créature aussi entêtée que M. Begbie ; je dus le prier de mettre ces niaiseries de côté pour un moment, et de donner son attention à des affaires plus sérieuses. Sur ce, il fit un effort qui lui permit d’apercevoir la lettre que je tenais.

« Ah ! fit-il de son air indolent, vous avez eu des nouvelles de milady ; me concernent-elles, monsieur Betteredge ?

— Vous en jugerez par vous-même, sergent. »

Je lui lus donc la lettre suivante en l’accentuant de mon mieux :

« Mon bon Gabriel, je vous prie de faire connaître au sergent Cuff que j’ai tenu ma promesse vis-à-vis de lui, en ce qui touche Rosanna Spearman. Miss Verinder déclare sur l’honneur qu’elle n’a jamais dit un mot en particulier à Rosanna depuis que cette infortunée était entrée à mon service. Elles ne se sont pas rencontrées, même accidentellement, pendant la nuit où le diamant fut perdu, et aucune communication n’a eu lieu entre elles depuis le jeudi matin, où l’alarme fut donnée dans la maison, jusqu’au samedi, jour où miss Verinder nous quitta. Voilà donc l’affirmation qui a suivi la brusque annonce que j’ai faite à ma fille du suicide de Rosanna Spearman. »

Arrivé à ce point de ma lecture, je levai les yeux, et je demandai au sergent Cuff ce qu’il pensait de cette partie de la lettre.

« Je ne ferais que vous offenser si j’exprimais mon opinion, répondit le sergent ; continuez, monsieur Betteredge, dit-il avec la plus exaspérante résignation ; continuez. »

Quand je pense que cet homme avait l’audace de se plaindre de l’obstination de notre jardinier, la langue me démangeait pour continuer en d’autres termes que ceux employés par ma maîtresse. Cette fois-ci pourtant, mes sentiments chrétiens prirent le dessus. Je poursuivis la lecture de la lettre :

« Après avoir suivi le conseil de l’officier de police dans cette première tentative faite auprès de miss Verinder, je lui parlai ensuite de la façon que je crus la plus propre à l’émouvoir.

« En deux occasions différentes, avant que ma fille quittât mon toit, je l’avais avertie qu’elle s’exposait à des soupçons