Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/209

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la nature la plus fâcheuse. Je lui ai dit à cette heure que mes craintes ne s’étaient que trop réalisées. Sa réponse, conçue en termes aussi nets et aussi catégoriques que possible, a été celle-ci : d’abord elle ne doit d’argent à aucune créature humaine ; en second lieu, le diamant n’est pas entre ses mains et n’y a pas été un seul instant, depuis qu’elle l’a serré mercredi soir dans le tiroir du meuble indien. La confiance que ma fille m’a témoignée s’est arrêtée là. Elle se renferme dans un mutisme absolu lorsqu’on lui demande de s’expliquer sur le fait de la disparition du diamant ; elle refuse avec larmes, bien que je la conjure de parler par égard pour moi. « Un jour viendra où vous saurez pourquoi je reste indifférente aux soupçons, et pourquoi, même avec vous, je ne me dépars point de mon silence. J’ai largement mérité la pitié de ma mère, je n’ai rien fait pour mériter son mépris. »

« Ce sont là les propres paroles de ma fille.

« Après ce qui s’est passé entre M. Cuff et moi, je crois convenable que, bien qu’il nous soit étranger, vous l’instruisiez du langage tenu par miss Verinder. Lisez-lui donc ma lettre et remettez-lui le chèque ci-inclus.

« En renonçant à ses services, j’ajoute que je suis pleinement convaincue de son honnêteté et de son intelligence, mais j’ai la persuasion aussi que les circonstances l’ont induit en erreur. »

La lettre finissait là. Avant de tendre le chèque au sergent, je lui demandai s’il avait quelque observation à faire.

« Mon devoir ne me force pas, monsieur Betteredge, répondit-il, à faire des remarques sur une affaire qui ne me regarde plus. »

Je lui jetai le chèque à travers la table.

« Admettez-vous au moins cette partie de la lettre de milady ? » demandai-je avec indignation.

Le sergent lut le montant du papier, et ses sourcils s’élevèrent sous l’impression qu’il reçut de la libéralité de milady.

« Le prix attaché à mon labeur est estimé ici trop généreusement pour que je ne cherche pas à m’acquitter. Je m’en souviendrai, monsieur Betteredge, lorsque l’occasion se présentera de ne pas l’oublier.

— Que voulez-vous dire ? demandai-je.

— Milady a fort habilement étouffé l’affaire pour le mo-