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servi, jusqu’à présent surtout, qu’à discipliner la nature déchue que nous héritons tous d’Adam, vient d’acquérir subitement de l’importance pour mes humbles intérêts personnels. J’ai été mise par là en mesure de servir le caprice d’un membre opulent de notre famille, et j’ai eu le bonheur de me rendre utile (dans le sens mondain du mot) à M. Franklin Blake.

Depuis longtemps je suis laissée sans nouvelles de ceux de mes parents qui sont riches. Lorsque nous sommes pauvres et isolés, il arrive trop souvent qu’on nous néglige. Je vis maintenant par économie, dans une petite ville de la Bretagne, entourée d’un cercle d’amis anglais, qui sont des personnes graves. À l’avantage de la vie à bon marché, la localité joint celui de posséder un pasteur protestant.

Dans cette retraite (une île de Patmos au milieu du papisme déchaîné qui nous environne) une lettre d’Angleterre me parvient enfin, et je vois que M. Franklin se souvient tout à coup de ma chétive existence. Mon riche parent (que ne puis-je dire riche en biens spirituels !) m’écrit sans essayer même de déguiser qu’il a besoin de moi. Il lui a pris la fantaisie de réveiller le déplorable scandale de la Pierre de Lune, et je suis requise par lui pour écrire tout ce que j’ai vu et su par moi-même à ce sujet pendant que j’étais à Londres chez ma tante Verinder. Avec l’absence de délicatesse de tous les gens riches, on m’offre une rémunération pécuniaire.

Il me faudra rouvrir des blessures que le temps a à peine fermées ; je devrai raviver mes souvenirs les plus pénibles, et tous ces sacrifices on veut que je les considère comme suffisamment compensés par l’humiliation que m’impose le chèque de M. Blake ; ma nature est faible ; l’humilité chrétienne et l’orgueil coupable se sont livré en moi un rude combat ; enfin l’abnégation de moi-même a pris le dessus et m’a fait accepter mon payement. Sans mon journal, je doute, laissez-moi, je vous en prie, le dire en termes aussi crus que possible, que j’eusse pu consciencieusement gagner mon salaire. À l’aide de mon journal, la pauvre créature mercenaire (qui pardonne à M. Fr. Blake de l’avoir insultée) méritera son payement. Rien ne m’a échappé quand j’allais chez ma tante ; tout était noté (grâce à mes habitudes d’en-