Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/241

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combien j’eusse pu être plus maltraité ! j’aurais pu être volé ou bien assassiné. En fin de compte, qu’ai-je perdu ? Rien que ma force nerveuse, valeur que la loi ne reconnaît pas. Donc, à proprement parler, je n’ai rien perdu du tout. S’il m’avait été loisible d’agir à mon gré, je me serais tu sur cette aventure ; j’ai horreur du bruit et de la publicité. Mais M. Luker a crié, lui, son accident sur les toits, et il en est résulté naturellement que le mien a été rendu public à son tour. J’appartiens aux journaux jusqu’à ce que l’aimable lecteur se lasse de moi. Je suis bien dégoûté de l’importance que les reporters me donnent : puisse-t-il bientôt en être de même des autres ! Mais comment va notre chère Rachel ? se plaît-elle toujours à Londres ? Combien je suis aise de l’apprendre ! Miss Clack, je réclame toute votre indulgence ; je suis bien en retard vis-à-vis du comité et de mes chères coopératrices ; mais j’espère m’occuper la semaine prochaine de la Société des petits vêtements. Avez-vous eu du succès à la réunion de lundi ? Le Conseil avait-il bon espoir pour notre avenir ? et nos pantalons ? sont-ils en bonne voie ? »

Son sourire angélique rendait ses excuses irrésistibles, et l’ampleur de la voix ajoutait un charme extrême à l’intéressante question pratique dont il m’entretenait. À la vérité, nous n’allions que trop bien ; quant aux pantalons, nous en étions littéralement accablés. J’allais le lui dire lorsque, la porte s’ouvrant, nous fûmes dérangés par l’invasion de l’élément mondain, personnifié dans miss Verinder.

Elle s’avança vers M. Godfrey avec une précipitation indécente chez une femme. Ses cheveux étaient dans un désordre choquant et une rougeur excessive empourprait son visage.

« Je suis charmée de vous voir, Godfrey, dit-elle en s’adressant à lui, je regrette de le dire, sur ce ton de familiarité qu’un jeune homme prend vis-à-vis d’un camarade. J’aurais souhaité que vous eussiez M. Luker avec vous ; car vous êtes, vous et lui (tant que la curiosité actuelle durera), les deux lions de Londres. Il est déplacé, même inconvenant de vous dire cela ; un esprit admirablement ordonné comme celui de miss Clack frémit en m’entendant ; n’y prenez pas garde, et dites-moi bien vite toute l’histoire de Northumberland-Street. Je sais que les gazettes ont supprimé quelques détails. »