Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/243

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— Vous vivez beaucoup trop dans la compagnie des femmes, et vous y avez pris deux bien mauvaises habitudes. Vous y avez appris à débiter gravement des niaiseries et à faire des contes pour le seul plaisir d’en faire. Vous ne pouvez être franc et net avec vos adoratrices, mais j’entends que vous le soyez avec moi. Allons, asseyez-vous, j’ai une foule de questions sérieuses à vous poser, et j’espère que vous y répondrez sérieusement. »

Elle eut l’aplomb d’emmener M. Godfrey jusqu’à une chaise, près de la fenêtre, où il avait la lumière en pleine figure. Je déplore qu’on m’ait forcée à relater cette conduite et ce langage. Mais enserrée comme je le suis entre l’obligation pécuniaire vis-à-vis de M. Franklin et mon respect pour la vérité, que puis-je faire ? je regardai ma tante. Elle restait immobile, et ne paraissait pas vouloir intervenir ; je ne l’avais jamais vue dans cette sorte de torpeur ; c’était peut-être une réaction naturelle à la suite de la période d’agitation qu’elle venait de traverser. En tout cas, ce symptôme n’était guère rassurant à l’âge de lady Verinder et avec son exubérance de formes.

Pendant ce temps, Rachel s’était établie dans l’embrasure de la fenêtre avec notre aimable, mais trop patient ami. Elle commença la série de questions dont elle l’avait menacé, sans faire plus d’attention à sa mère et à moi que si nous n’avions pas été dans la pièce. »

« La police a-t-elle découvert quelque chose, Godfrey ?

— Rien au monde.

— Il est certain, n’est-ce pas, que les trois hommes qui vous ont tendu ce piège sont les mêmes que ceux qui ont surpris M. Luker ?

— Humainement parlant, chère Rachel, il ne peut y avoir aucun doute.

— Et l’on n’a retrouvé aucune trace de ces gens ?

— Aucune.

— On croit généralement, n’est-il pas vrai, que ces hommes sont les trois Indiens que nous avons vus chez nous à la campagne ?

— Beaucoup de personnes le pensent.

— Et vous ?

— Ma chère Rachel, ils m’ont aveuglé avant que je pusse