reconnaître leurs figures ; je ne sais rien de plus que le public. Comment voulez-vous que je me forme une opinion ? »
Vous voyez par cette dernière réponse que même la douceur angélique de M. Godfrey commençait à se lasser de cette persécution intolérable ; je ne me permettrais pas de décider si la curiosité indomptable de miss Verinder, ou son appréhension dont elle n’était pas maîtresse, lui dictait ses questions ; je noterai seulement qu’à la première tentative faite par M. Godfrey pour se lever, elle le saisit par les épaules et le força à se rasseoir !
Oh ! de grâce ! ne dites pas que ces manières sont immodestes ! n’insinuez pas qu’une terreur folle et coupable pouvait seule expliquer une conduite pareille ! mes amis en Dieu, nous ne devons juger personne ! Non, non, ne jugeons pas !
Elle poursuivit ses questions, sans vergogne. Ceux qui ont étudié la Bible à fond songeront peut-être, comme moi, aux enfants aveugles du démon, qui continuaient sans honte leurs orgies à la veille du déluge…
« Parlez-moi un peu de M. Luker, Godfrey.
— J’aurai de nouveau le regret de ne pouvoir vous renseigner, Rachel. Nul ne connaît moins M. Luker que moi.
— Vous ne l’aviez jamais vu avant de vous rencontrer ensemble à la banque ?
— Jamais.
— L’avez-vous revu depuis ?
— Oui. Nous avons été interrogés ensemble, puis séparément, afin de répondre à la police.
— On a dépouillé M. Luker d’un reçu qu’il tenait de ses banquiers, n’est-ce pas ? Que portait ce reçu ?
— C’était celui d’une pierre de grande valeur qu’il avait mise en dépôt à la banque.
— C’est ce que racontent les journaux. Cela peut satisfaire le commun des lecteurs. Mais pour moi, cela ne me suffit point. Le reçu du banquier devait spécifier de quelle nature était cette pierre précieuse.
— Le reçu, m’a-t-on dit, chère Rachel, ne mentionnait aucun détail. Une pierre de valeur, déposée par M. Luker, cachetée de son cachet et ne devant être remise qu’au seul M. Luker. Tels étaient les termes de cet écrit, et je ne sais rien de plus. »