Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/256

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Ah ! vraiment, eh bien, miss Clack, vous pouvez accepter, vous avez bien plus de vingt-et-un ans, et je ne vous vois pas le moindre intérêt pécuniaire dans le testament de lady Verinder. »

Pas le moindre intérêt pécuniaire ! Oh ! que je fus reconnaissante en l’entendant parler ainsi ! Si ma tante (elle qui possédait des millions) avait songé à une pauvre femme pour qui cinq livres sont une affaire, si mon nom avait paru dans cet acte avec un petit legs y joint, mes ennemis eussent pu incriminer les motifs si purs qui m’avaient fait dépouiller ma bibliothèque et prélever sur mes maigres ressources l’extravagante dépense d’un cab ; mais le sceptique le plus endurci ne pourrait plus devant cette déclaration conserver même un doute. Oh ! certes, il valait mille fois mieux qu’il en fût ainsi.

Je fus tirée de ces consolantes réflexions par la voix de M. Bruff ; mes méditations semblaient peser à ce mondain, et le forcèrent presque malgré lui à m’adresser la parole :

« Miss Clack, quelles sont les dernières nouvelles qui se débitent dans les réunions de charité ? comment va votre ami M. Godfrey Ablewhite, depuis son aventure de Northumberland-Street ? On en raconte de belles à mon club sur le compte de ce pieux gentleman. »

J’avais négligé la manière dont cet individu avait parlé de mon âge et de la situation désintéressée que me faisait le testament de ma tante ; mais le ton qu’il se permit de prendre en parlant du digne M. Godfrey dépassa la mesure de ma patience. Après ce que j’avais vu et entendu ce jour-là même, je croyais de mon devoir d’affirmer l’innocence de mon incomparable ami quand l’occasion s’en présenterait. À cette obligation se joignait, je l’avoue, dans le cas présent, le désir d’infliger un châtiment sévère à M. Bruff.

« Je vis fort en dehors du monde, dis-je, et je ne possède pas l’avantage comme vous, monsieur, de faire partie d’un club. Mais je me trouve connaître parfaitement l’histoire dont vous voulez parler ici, et je sais aussi que jamais plus vile calomnie ne fut inventée.

— Oui, oui, miss Clack, vous avez foi en votre ami, c’est tout simple ; mais M. Ablewhite ne trouvera pas le monde aussi facile à convaincre que des dames de charité. Les