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par différentes mains et adressés sous forme de lettres à ma tante, seraient les uns envoyés par la poste, les autres disséminés dans la maison selon le plan suivi hier par moi.

Le déguisement épistolaire les ferait recevoir sans défiance : ces missives seraient ouvertes, et sans doute lues. J’en écrivis quelques-unes moi-même : « Chère tante, puis-je attirer votre attention sur quelques lignes ? etc. » — « Chère tante, la nuit dernière je lisais, et je tombai sur l’admirable passage suivant, etc., etc. » D’autres lettres furent écrites pour moi par mes dignes sœurs et compagnes de labeur de la Société des petits vêtements : « Veuillez excuser, madame, l’intérêt que vous porte une humble, mais sincère amie. » — « Chère madame, permettrez-vous à une personne sérieuse de venir vous offrir quelques paroles de consolation ? » En multipliant ces appels polis et affectueux, nous ramenions l’attention sur tous les passages importants de mes précieux livres, et notre procédé échappait à la surveillance du docteur matérialiste. Avant que les ombres de la nuit fussent tombées, je possédais une douzaine de lettres d’un effet saisissant, toutes appropriées aux besoins spirituels de ma tante. J’en expédiai aussitôt six par la poste, et j’en gardai six autres dans ma poche pour les distribuer moi-même le lendemain.

Dès que deux heures sonnèrent, je m’établis sur le champ de bataille ; je trouvai Samuel à la porte de lady Verinder et lui adressai quelques questions tout affectueuses.

Ma tante avait passé une mauvaise nuit, me fut-il répondu ; elle était couchée sur le sofa dans la pièce où on avait lu le testament, et elle cherchait à dormir un peu.

Je dis que j’attendrais dans la bibliothèque le moment de la voir ; la ferveur de mon zèle me fit oublier de demander des nouvelles de Rachel ! La maison était silencieuse, et le concert devait être commencé depuis longtemps ; je pensai donc qu’elle et ses compagnons de plaisir, y compris, hélas ! M. Godfrey, y étaient tous. Je me dévouai à ma bonne œuvre pendant que j’en avais le loisir et l’occasion.

La correspondance de ma tante, augmentée de mes six lettres, était posée sur la table de la bibliothèque ; elle ne s’était évidemment pas sentie assez forte pour décacheter un courrier si volumineux. Cette pile de missives à ouvrir avait