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de quoi l’effrayer, pour peu que l’accablement où elle se trouvait durât pendant le reste de la journée. Je posai donc une de mes lettres sur la cheminée, bien en vue et ne pouvant manquer ainsi d’attirer sa curiosité. Je jetai la seconde sur le parquet de la petite salle à manger ; le domestique qui y entrerait croirait que ma tante l’avait laissée tomber et ne manquerait pas de la lui remettre ; le grain semé ainsi au premier étage, je courus en haut pour accomplir mes pieux desseins dans les salons.

Comme j’entrais dans la pièce de devant, j’entendis frapper à la porte de la rue un coup mesuré, discret, aussi peu bruyant que possible. Avant que je pusse rentrer dans la bibliothèque où on me croyait, l’actif jeune valet de pied descendait à l’antichambre et répondait au visiteur. Du reste, peu m’importait, car dans l’état de santé de ma tante, on n’admettrait pas, pensai-je, de visites. À mon grand étonnement, celui qui s’était annoncé par ce léger coup de marteau à la porte parut faire exception à la règle. La voix de Samuel répondit à quelques questions que je ne pus entendre : « En haut, si vous voulez bien, monsieur. » Au même moment, j’entendis des pas d’homme qui montaient l’escalier et s’approchaient du salon. Quel pouvait être ce visiteur privilégié ? Presque à l’instant où je me faisais cette question, il me vint à l’esprit que ce ne pouvait être que le docteur.

Pour tout autre visiteur, je n’aurais vu aucun inconvénient à ce qu’on me trouvât dans le salon, car n’était-il pas naturel que, fatiguée d’attendre dans la bibliothèque, je fusse montée pour me distraire un peu ? Mais ma dignité personnelle me défendait de me rencontrer seule avec l’homme qui m’avait si gravement insultée par le renvoi de mes livres. Je me glissai dans la dernière petite pièce que j’ai indiquée comme communiquant par des portières avec le salon du fond, et je les laissai retomber ; je n’avais qu’à attendre là quelques minutes ; il était évident qu’on viendrait bientôt chercher le docteur pour le conduire chez sa malade.

J’attendis, mais bien plus que quelques minutes ; on entendait le visiteur aller et venir d’un pas agité, et se parler à lui-même. Je crus reconnaître cette voix ; me serais-je