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L’aîné des fils, Arthur, hérita du titre et des terres ; le second, l’honorable John, reçut d’un parent une belle fortune, et entra dans l’armée.

C’est, dit-on, un vilain oiseau que celui qui salit son nid. Je considère la noble famille des Herncastle comme mon nid : aussi je demande la permission de ne pas entrer dans trop de détails au sujet de l’honorable John.

Il était, j’en ai la conviction, un des plus grands coquins qui aient existé, et je ne puis vraiment le juger autrement. Il débuta dans l’armée par entrer dans la garde ; il lui fallut quitter ce corps à vingt-deux ans, peu importe pour quel motif ! il suffira de savoir qu’on est fort sévère dans l’armée, et que cette rigidité ne put convenir à l’honorable John. Il passa dans l’armée des Indes, afin d’essayer du service actif, et aussi afin de savoir si l’on y était plus coulant sur la discipline.

Quant à la bravoure, rendons lui justice, il réunissait l’audace du bouledogue à celle du coq de combat, avec quelque chose de la ruse du sauvage.

Il se trouvait à la prise de Seringapatam.

Peu après, il changea de régiment et, par la suite, permuta encore pour un autre. Dans ce dernier, il acquit le grade de lieutenant-colonel, fut frappé en plus d’une fièvre cérébrale, et revint enfin en Angleterre.

Il était précédé d’une réputation qui lui ferma les portes de sa famille ; milady, après avoir pris l’avis de sir John, déclara que son frère ne mettrait jamais le pied chez elle. Plus d’une tache ternissait le caractère du colonel, mais les vilaines actions qu’il commit pour obtenir la possession du diamant sont les seules qui doivent m’occuper ici.

On prétendait qu’il avait acquis ce diamant par des moyens que, si cynique qu’il fût, il n’osait pas avouer lui-même. Il ne chercha jamais à le vendre, car il n’avait point besoin d’argent, et d’ailleurs, disons-le, il n’attachait pas de prix à la fortune. Il ne le donna point non plus et ne le montra jamais à qui que ce soit. Quelques-uns disaient qu’il craignait que ce souvenir ne lui occasionnât des difficultés avec l’autorité militaire ; d’autres, et ceux-là ne le connaissaient guère, que le colonel craignait, s’il le montrait, qu’il lui en coûtât la vie.