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Comme toujours, un peu de vérité se mêlait pourtant à ce dernier bruit.

C’eût été se tromper que de l’accuser de peur ; mais un fait exact, c’est que sa vie avait été menacée deux fois dans les Indes, et chacun restait convaincu que la Pierre de Lune était la cause de ces embûches.

Lorsqu’il revint en Angleterre et qu’il se trouva repoussé par toute sa famille, on attribua cette sévérité à l’histoire du diamant. Le mystère de la vie du colonel pesait sur cette existence, et la rendait celle d’un paria au milieu des siens et du monde.

Les hommes lui fermaient l’entrée des clubs ; parmi les femmes, plus d’une qu’il rechercha en mariage le refusa ; enfin, parents et amis eurent tous la vue basse pour éviter de le reconnaître dans la rue.

Beaucoup d’hommes eussent cherché à sortir de cette impasse ; mais courber la tête, même lorsqu’il était dans son tort, et qu’il avait tout le monde contre lui, cela n’était guère le fait de l’honorable John. Dans l’Inde, il avait conservé le diamant pour braver les assassins ; en Angleterre, il le garda comme un défi à l’opinion publique.

Vous avez ainsi le portrait moral d’un homme dont le caractère défiait tout, et dont la figure, quelque belle qu’elle fût, semblait pourtant possédée du diable.

Bien des bruits sur son compte arrivèrent jusqu’à nous. Parfois on le disait mangeur d’opium et amateur de vieux bouquins ; d’autres fois il passait pour se livrer à d’étranges expériences de chimie, puis on le vit adonné aux plus grossiers plaisirs, dans la plus mauvaise société de Londres. En résumé, la vie du colonel était solitaire, vicieuse et dégradée. Une fois seulement, après son retour en Angleterre, je le vis moi-même face à face.

Environ deux ans avant l’époque que je raconte ici, et dix-huit mois avant sa mort, le colonel arriva inopinément à la maison occupée par milady, à Londres. C’était le soir du jour de naissance de miss Rachel, le 21 juin, et, comme de coutume, une réunion avait lieu en son honneur. Le valet de pied vint me prévenir qu’un gentleman désirait me parler. J’allai dans l’antichambre, et là je trouvai le colonel, vieilli,