Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/59

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

là, les discussions politiques et le sommeil nous surprenant sous l’ardeur du soleil, étaient un genre d’explications qui ne pouvait plus servir. À bout d’imagination, je me permis de dire que l’arrivée de M. Franklin par le train du matin ne devait être attribuée qu’à une de ses excentricités habituelles. Alors survint la question de savoir si cette chevauchée intempestive était aussi une autre de ses excentricités ; je répondis : « Oui » sans hésiter et m’en tirai ainsi fort habilement, à ce que je crois.

Sorti de cette passe difficile, je me trouvai dans un embarras bien plus grand quand je rentrai dans ma chambre. Pénélope, aussi fidèle à la douceur innée des femmes qu’à leur curiosité naturelle, vint m’embrasser et me poser des questions ; mais cette fois-ci, elle désirait seulement, m’interroger sur le compte de notre housemaid Rosanna Spearman.

Il paraît qu’après nous avoir quittés, M. Franklin et moi, aux Sables-Tremblants, Rosanna était revenue dans l’état d’esprit le plus étrange. Elle avait passé, à en croire Pénélope, par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel ; gaie sans cause, triste tout à coup, elle faisait cent questions sans désemparer sur M. Franklin Blake, et du même coup se montrait mécontente de Pénélope, parce que celle-ci se permettait de témoigner quelque étonnement du subit intérêt qu’elle prenait à un étranger.

On l’avait surprise occupée à graver en souriant le nom de M. Franklin dans l’intérieur de sa boîte à ouvrage ; elle avait été vue de nouveau pleurant et considérant dans la glace son épaule contrefaite.

M. Franklin et elle se connaissaient-ils avant ce jour ? Cela semblait impossible. Avaient-ils entendu parler l’un de l’autre ? Cela paraissait non moins inadmissible. Je pouvais répondre de la surprise réelle de M. Franklin à la vue des regards que fixait sur lui cette fille. Pénélope affirmait également que les questions de Rosanna sur M. Franklin avaient un tour naturel, bien qu’elles devinssent excessives. Cette consultation fatigante et sans issue se termina brusquement par la plus singulière hypothèse du monde de la part de Pénélope.

« Père, dit Pénélope sérieusement, il n’y a qu’un moyen d’expliquer cela ; Rosanna sera tombée amoureuse de M. Blake à première vue ! »