Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/71

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Ma fille répliqua que M. Franklin pourrait bien se déclarer avant que les vers fussent suivis du poète ! À cela je ne pouvais rien opposer, car j’avoue que M. Franklin ne perdait aucune occasion de se mettre dans les bonnes grâces de sa cousine.

J’en donnerai pour preuve que, quoique fumeur invétéré, il renonça au cigare, dès qu’elle eut dit qu’elle détestait l’odeur qui en restait dans les habits. Il dormit si mal après cet acte de soumission, par suite de la privation de son narcotique habituel, et il souffrit tellement de ce changement d’habitudes, que miss Rachel fut la première à le prier de reprendre ses cigares. Mais il persista dans sa résolution ; jamais il ne reprendrait rien de ce qui pouvait lui causer un instant d’ennui, et sa volonté l’aiderait à se vaincre, et même à retrouver le sommeil.

Tant de dévouement, ainsi pensait chacun, ne pouvait manquer de faire impression sur miss Rachel, sans compter encore le travail en commun de la décoration du boudoir. Tout cela est très-joli, mais enfin elle avait dans sa chambre à coucher une photographie de M. Godfrey, qui le représentait dans la pose d’un orateur de meeting, ses cheveux jetés en arrière par le feu de son éloquence, et ses beaux yeux forçant l’argent à sortir des poches. Que direz-vous de cela ? Chaque matin, de l’aveu même de Pénélope, l’homme incomparable que toutes les femmes s’arrachaient assistait en effigie à la toilette de miss Rachel, et je persistais à croire qu’ayant peu il aurait le droit de voir en réalité ces beaux cheveux peignés par Pénélope.

Le 16 juin survint un événement qui diminua encore selon moi les chances de M. Franklin.

Un monsieur à l’air assez bizarre, parlant l’anglais avec un accent étranger, vint ce matin-là demander M. Franklin Blake, pour lui parler affaires.

Ces affaires ne pouvaient regarder le diamant pour deux motifs : d’abord, parce que M. Franklin ne m’en parla pas ; secondement, parce qu’il s’en entretint avec milady ; celle-ci en toucha sans doute quelques mots à sa fille. En tout cas, il paraît que miss Rachel, le soir au piano, fit de sévères remontrances à M. Franklin sur la compagnie dans laquelle il avait vécu et les principes relâchés qu’il avait puisés à