Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’étranger. Le lendemain, pour la première fois, on négligea la décoration de la porte. Je soupçonne qu’il s’agissait pour M. Franklin de liquider quelque imprudence commise sur le continent, dette ou affaire de femme, qui était venue le relancer en Angleterre ; tout ceci n’est qu’une supposition ; car dans cette occasion, chose étrange, milady et M. Franklin me laissèrent dans l’ignorance.

Le 17, les nuages semblèrent se dissiper. Les deux jeunes gens reprirent la décoration de la porte et parurent bien ensemble comme avant. S’il faut en croire Pénélope, M. Franklin aurait saisi l’occasion de la réconciliation pour faire sa demande, et n’aurait été ni repoussé ni agréé. Ma fille affirmait que miss Rachel avait éloigné M. Franklin en affectant de ne pas le croire assez sérieux, et qu’un instant après elle avait regretté son procédé. Bien que Pénélope, élevée dès son enfance avec sa jeune maîtresse, fût pour cette raison plus familière avec elle que ne le sont d’ordinaire les femmes de chambre, je connaissais trop la réserve de miss Rachel pour admettre qu’elle s’ouvrît ainsi, et je crois que ma fille prenait ses espérances pour des réalités.

Le 19, il survint un autre événement ; le docteur fut appelé pour soigner une personne que vous connaissez ; je veux parler de notre seconde housemaid, Rosanna Spearman.

Cette pauvre fille qui, comme vous le savez, m’avait tant intrigué par sa manière d’être aux Sables-Tremblants, me causa encore plus d’un étonnement jusqu’au moment dont je vous entretiens ici. L’idée de ma fille (et qu’elle garda strictement pour elle, d’après mes ordres), que Rosanna fût tombée amoureuse de M. Franklin me paraissait toujours aussi absurde ; mais je conviens aussi que ce que nous vîmes tous deux de sa conduite commençait à avoir l’air mystérieux, pour ne pas dire plus !

Ainsi, sans faire semblant de rien et de la manière la plus naturelle du monde, elle se plaçait sans cesse sous les pas de M. Franklin. Il y faisait à peu près autant attention qu’au chat de la maison, et il ne pensait jamais à regarder une figure aussi ordinaire. Pendant ce temps, cette pauvre fille, qui n’avait jamais eu beaucoup d’appétit, le perdit tout à fait et se mit à dépérir, tandis que le matin ses yeux indiquaient