Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/90

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— Je ne puis que vous féliciter de cette heureuse inspiration ! À quel moment avez-vous porté le diamant à la banque voisine ?

— Une heure après mon arrivée, et trois heures avant que personne comptât sur moi ici.

— Je vous fais de nouveau mon sincère compliment ! Étiez-vous seul quand vous rapportâtes ici le diamant ?

— Non ; le hasard voulut que je fusse accompagné de mes cousins et d’un groom.

— Troisième sujet de félicitations ! Si jamais vous avez la fantaisie de voyager dans des contrées non civilisées, monsieur Blake, faites-le-moi savoir, et je serai heureux de m’associer à vous. Vous êtes un homme né sous une heureuse étoile. »

Ici, j’intervins, car mes idées anglaises ne pouvaient admettre cette manière de voir.

« Vous ne voulez pas nous faire entendre, n’est-ce pas, monsieur, que ces hommes eussent réellement assassiné M. Franklin, s’ils en avaient eu l’occasion, afin de ressaisir le diamant ?

— Fumez-vous, monsieur Betteredge ? me répondit le voyageur.

— Oui, monsieur.

— Avez-vous grand souci des cendres de votre pipe lorsque vous la videz ?

— Non, monsieur.

— Eh bien, dans le pays d’où viennent ces gens-là, la vie d’un homme importe aussi peu qu’à vous les cendres de votre pipe. Si un millier de vies les gênaient dans l’accomplissement de leur œuvre, et qu’ils pussent les sacrifier sans crainte d’être découverts, ils le feraient sans le plus mince scrupule. Le sacrifice de la caste est immense dans l’Inde, celui de la vie humaine n’est regardé que comme un détail insignifiant. »

Je lui représentai qu’en ce cas ce pays n’était qu’un repaire de voleurs et d’assassins ! M. Murthwaite, lui, m’assura que c’était un peuple admirable, et M. Franklin, n’exprimant aucune opinion, s’occupa de nous ramener à la question principale.