Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Maintenant qu’ils ont vu miss Verinder, parée de la Pierre de Lune, dit-il, que reste-t-il à faire ?

— Il reste à réaliser la menace de votre oncle. Le colonel Herncastle connaissait parfaitement ces gens-là. Envoyez dès demain le diamant à Amsterdam sous la garde de plusieurs personnes sûres, et faites-le tailler en une demi-douzaine de pierres séparées. Ainsi cessera l’identité de la Pierre de Lune ; son caractère sacré sera détruit, et vous verrez la fin de la conjuration fanatique. »

M. Franklin se tourna vers moi.

« Il n’y a plus, à hésiter, dit-il ; il faut que dès demain je parle à lady Verinder.

— Et pour cette nuit, monsieur ? lui demandai-je. Supposons que les Indiens reviennent ? »

M. Murthwaite me répondit avant que M. Franklin eût pris la parole :

« Les Indiens ne se risqueront pas à revenir cette nuit ; les moyens directs ne sont pas ceux de leur choix, même en admettant l’importance qu’ils attachent à faire réussir une affaire aussi délicate et où ils savent que la moindre erreur peut être fatale à leur entreprise.

— Mais ces coquins peuvent être plus hardis que vous ne le supposez, monsieur, insistai-je.

— En ce cas, répliqua M. Murthwaite, lâchez les chiens. Y en a-t-il de solides à la basse-cour ?

— Deux, monsieur, un mâtin, et un lévrier.

— Cela suffira. Dans la circonstance présente, monsieur Betteredge, ces animaux ont un grand mérite, celui de n’avoir aucun de vos scrupules consciencieux sur le respect dû à la vie humaine. »

Le murmure du piano arrivait du salon, pendant qu’il me lançait ce trait.

Il jeta son cigare, prit le bras de M. Franklin, et se dirigea vers la maison.

Je les suivis et je remarquai que le ciel se couvrait ; M. Murthwaite fit la même observation, et me dit en me regardant de son air sarcastique : « Les indiens auront besoin de parapluies pour cette nuit, monsieur Betteredge. »

Mes graves inquiétudes pouvaient ne lui paraître qu’une charmante plaisanterie ; mais moi je n’étais pas un voyageur