Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/94

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situation d’esprit qui vous pousse à dire des sottises, à y persévérer, comme si vous étiez en plein bon sens. On peut souvent observer cette disposition chez les jeunes filles surexcitées par une journée trop agitée. D’abord, elle déclara ne savoir que faire de son diamant. Puis elle dit qu’elle le déposerait tout simplement sur sa toilette parmi ses autres bijoux. Après cela, elle se souvint que le diamant pourrait bien briller de son infernale lumière à travers l’obscurité, et qu’elle aurait peur. Alors elle pensa à un meuble en bois des Indes placé dans son petit salon, et se décida à y mettre le diamant indien, afin, disait-elle, de donner à deux merveilles du même pays le loisir de se contempler. Ayant laissé d’abord s’évaporer son petit babil, sa mère l’arrêta.

« Ma chère, dit milady, votre meuble ne ferme même pas à clef !

— Bon Dieu, maman, reprit miss Rachel, sommes-nous donc dans un hôtel garni ? et y a-t-il des voleurs dans la maison ? »

Sans relever cette manière de parler, milady souhaita le bonsoir à ses neveux, puis se tournant vers miss Rachel, elle l’embrassa. « Pourquoi ne pas me laisser garder votre diamant pour cette nuit ? » lui demanda-t-elle.

Miss Rachel reçut la proposition comme elle eût pu le faire quelques années avant si on lui avait demandé de se séparer d’une poupée favorite. Milady vit qu’il n’y avait pas moyen de raisonner avec elle ce soir-là : « Venez dans ma chambre demain matin, Rachel, j’ai à causer avec vous… » Sur ces derniers mots, elle nous quitta, paraissant absorbée par ses propres pensées, et nullement enchantée des objets qu’elles lui offraient.

Miss Rachel nous souhaita ensuite une bonne nuit ; elle donna une poignée de main à M. Godfrey, qui, debout à l’autre extrémité du hall, regardait un tableau. Puis elle se retourna vers M. Franklin, assis dans un coin, fatigué et silencieux.

Je ne puis dire quels mots ils échangèrent. Mais tandis que je me trouvais près de la grande glace, je la vis tirer mystérieusement de son corsage le médaillon qu’il lui avait donné, et le lui montrer avec un sourire qui certainement dénotait une intention ; puis elle se dirigea légèrement vers