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— Non, tous deux nous bénirons le jour, ma bien-aimée, où je vous aurai implorée ici et où vous m’aurez cédé.

— Êtes-vous bien convaincu de ce que vous dites ?

— Jugez en vous-même ; je vous parle par l’expérience de ma propre famille. Dites-moi ce que vous pensez de notre intérieur à Frizinghall ? Mon père et ma mère semblent-ils vivre mal ensemble ?

— Bien au contraire, au moins d’après ce que j’ai pu voir.

— Lorsque ma mère était jeune fille, Rachel (ce n’est pas un secret pour notre famille), comme vous elle avait aimé un jeune homme qui se montra indigne d’elle. Elle épousa mon père, pour qui elle éprouvait du respect, de l’affection, mais rien de plus. Vous avez pu juger du résultat par vos yeux. Ne trouvez-vous là aucun encouragement pour vous[1] ?

— Vous ne me presserez pas, Godfrey ?

— Votre décision sera la mienne.

— Vous ne me demanderez pas plus que je ne puis vous donner ?

— Mon cher ange, je ne vous demande que de vous donner vous-même !

— Alors… prenez-moi ! »

Avec ces deux mots, elle l’accepta !

Il se laissa aller à un nouvel attendrissement, bien profane celui-là. Il l’attira de plus en plus contre lui, jusqu’à ce que sa figure touchât celle de Rachel, et alors… non, en vérité, je ne puis me résoudre à retracer la suite de cette scène scandaleuse. Laissez-moi seulement vous dire que je voulus fermer les yeux avant d’en être témoin et que je m’y pris une minute trop tard. Il est évident que j’avais calculé sur un certain temps de résistance, mais non, elle se soumit sur-le-champ ! Un volume n’en ferait pas comprendre davantage aux personnes de mon sexe qui possèdent la moindre délicatesse de sentiment !

Malgré toute mon innocence, je commençais à me rendre compte de la façon dont cette entrevue allait se terminer ; ils se comprenaient tellement bien à partir de ce moment,

  1. Voir la narration de Betteredge, T. I, chap. viii.