Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 2.djvu/153

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rais le voir, je ferais donc bien de ne pas différer ma visite.

Je partis pour aller le trouver, mais la même fatalité semblait m’accompagner partout. J’appris que Godfrey avait quitté Londres la veille pour rejoindre le bateau de Douvres ; il devait faire la traversée d’Ostende, et son domestique croyait qu’il irait de là à Bruxelles ; l’époque de son retour était incertaine, mais il n’aurait pas lieu en tous cas avant trois mois.

Je rentrai chez moi assez démonté ; trois des convives du dîner, et tous trois gens remarquablement intelligents, me faisaient défaut au moment même où il m’importait le plus de les rencontrer. Mon dernier espoir reposait sur Betteredge et sur les quelques amis de lady Verinder qui pouvaient encore exister dans le voisinage de Frizinghall.

Je me rendis cette fois directement dans la ville qui allait devenir le point central de mon exploration. J’arrivai trop tard pour faire demander Betteredge ; je lui envoyai un mot le lendemain matin en le priant de venir me trouver le plus tôt qu’il le pourrait. Comme j’avais eu la précaution d’envoyer mon commissionnaire avec une voiture destinée à ramener le vieillard, je calculais que son arrivée aurait lieu au bout de deux heures environ. Je voulus employer ce temps à ouvrir mon enquête parmi ceux des invités du dîner qui étaient de ma connaissance et se trouvaient à ma portée. De ce nombre étaient les Ablewhite et M. Candy. Le docteur demeurait dans la rue voisine et avait exprimé le désir de me voir. Ce fut chez lui que je me rendis tout d’abord.

D’après ce que Betteredge n’avait raconté, je m’attendais à découvrir sur le visage du docteur les traces de sa grave maladie ; mais j’étais loin de me douter que je le retrouverais si changé.

Ma surprise fut grande lorsque, à son entrée dans la chambre, je remarquai ses cheveux gris, sa figure racornie, ses yeux troubles, sa taille courbée. Rien ne survivait du petit docteur que j’avais connu autrefois rieur, plein d’entrain, coutumier d’indiscrètes plaisanteries et de farces d’écolier ; il n’avait gardé de son passé que le goût des toilettes voyantes et vulgaires. Le pauvre homme n’était plus qu’une ruine, tandis que, par un contraste ironique, son gilet et ses bijoux restaient aussi flambants que jamais.