Restait la question du diamant. L’avoué donnait-il une preuve quelconque que le joyau fût à Londres ?
Non ; M. Bruff avait refusé d’accepter la discussion à ce sujet.
Il se déclarait sûr pour son compte que la Pierre de Lune avait été mise en gage chez M. Luker ; son éminent ami M. Murthwaite, à qui personne ne pouvait contester une profonde connaissance du caractère hindou, en était sûr également. Pour ces motifs et vu le nombre de ses occupations, il s’excusait de ne point discuter une question oiseuse. Le temps montrerait qui avait raison, et M. Bruff s’en remettait au temps.
Au fond de toutes ces objections, une chose était claire à mes yeux : M. Bruff se défiait de moi. Il m’était d’autant plus facile de m’en convaincre que M. Blake avait eu la précaution de me résumer la lettre au lieu de me la lire. J’avais prévu ce résultat ; aussi n’en ai-je été ni mortifié ni surpris. J’ai demandé à M. Blake si l’opposition de son ami ne l’avait pas ébranlé. Il m’a répondu que jamais il ne s’était senti plus décidé à poursuivre. Dès lors, je n’avais plus à m’occuper de M. Bruff et ne m’en suis plus occupé.
La conversation s’était arrêtée entre nous. Gabriel Betteredge a quitté alors l’embrasure de la fenêtre.
« Pourriez-vous m’accorder quelques moments d’attention, monsieur ? m’a-t-il dit.
— Tout à votre service, » ai-je répondu.
Betteredge a pris une chaise et s’est assis à la table ; il nous a produit un vaste portefeuille en cuir de forme antique avec un crayon assorti. Ayant mis ses lunettes, il a ouvert son agenda à une page blanche et s’est adressé de nouveau à moi.
« J’ai vécu, a dit Betteredge en me regardant sévèrement, près de cinquante ans au service de feu milady. Avant cela, j’étais chez le vieux lord, son père. Je suis âgé de plus de soixante-dix ans, peu importe le chiffre exact ! et je passe pour avoir au moins autant d’expérience et de jugement que beaucoup d’autres. Eh bien ! comment toute cette affaire va-t-elle finir ? Elle finit, monsieur Ezra Jennings, par une opération de sorcellerie tentée sur la personne de M. Franklin Blake par un docteur en second armé d’une bouteille de lau-