Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 2.djvu/219

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ses yeux ; l’autre, que je donne à M. Bruff, est cachée à la vue de M. Franklin par les rideaux. Pour aérer la pièce, nous avons entr’ouvert la fenêtre. On entend tomber une pluie légère au milieu du silence de la nuit ; il est alors onze heures vingt minutes, et je m’établis sur ma chaise au pied du lit.

M. Bruff reprend ses papiers et affecte de leur consacrer encore toute son attention, mais je découvre plusieurs indices qui m’annoncent que la loi commence à perdre quelque peu de son intérêt pour lui ! Malgré son peu d’imagination, il se laisse gagner, lui aussi, à la curiosité. Quant à Betteredge, adieu la fermeté de ses principes et la dignité de son attitude ! Il oublie que je ne suis qu’un faiseur de tours, il oublie que j’ai bouleversé toute la maison, il oublie que je n’ai jamais relu Robinson depuis mon enfance, et, se penchant vers moi, il me glisse mystérieusement :

« Pour l’amour de Dieu, monsieur, dites-nous donc vers quelle heure l’effet commencera à se faire sentir !

— Pas avant minuit, dis-je à demi-voix ; ne parlez plus et tenez-vous tranquille. »

Betteredge descend au dernier degré de la familiarité avec moi, sans même faire un effort pour sauver sa dignité ! Il me répond par un clignement d’yeux.

Je regarde ensuite M. Blake, et je le vois toujours aussi agité ; il est de mauvaise humeur parce que le laudanum tarde à agir ; lui dire que plus il s’impatiente ainsi, plus il éloigne le résultat désiré, serait peine perdue. Le plus sage est donc de le distraire de l’idée de l’opium en détournant son attention sur un autre objet.

Dans ce but, je l’encourage à causer avec moi ; j’essaye d’amener de mon côté la conversation sur le point dont nous nous étions entretenus dans la soirée, c’est-à-dire sur le diamant. J’insiste de préférence sur certains détails de l’histoire de la Pierre de Lune, comme son transport de Londres dans le Yorkshire, le risque que M. Blake avait couru en la retirant de la banque de Frizinghall, et l’apparition inattendue des Indiens le soir du jour de naissance. Je fais semblant d’avoir mal compris ce que M. Blake lui-même m’a raconté à ce sujet quelques heures auparavant. Je le provoque ainsi à parler de tout ce dont il importe absolu-